Le fait de prendre des suppléments de multivitamines a été malmené par la littérature scientifique, car des éléments de preuve sont apparus selon lesquels prendre des compléments alimentaires de vitamines était, dans la plupart des cas, au mieux inutile, au pire nocif.
Certaines vitamines prises individuellement ont des profils bénéfices/risques peu reluisants : des produits comme la vitamine B9 (acide folique), le calcium et le béta-carotène [1] semblent tous ne pas être recommandés en dehors d’une carence ou d’une indication médicale. La vitamine E, déjà sur la liste de surveillance, semble incroyablement problématique, avec des données récemment publiées [2] qui confirment l’association suspecte entre une supplémentation et le risque de cancer de la prostate.
Si on lit ces études, il y a un problème qui semble se répéter : le danger de supposer des bénéfices thérapeutiques en l’absence de preuves les confirmant. Les suppléments de vitamines possèdent une aura de sécurité et de santé, une caractéristique qui est renforcée quand vous les achetez, car vous n’avez besoin ni d’ordonnance ni de prescription, ni d’être conseillé sur leur utilisation, et il n’y a pas de longue liste de contre-indications ni d’effets secondaires répertoriés qui accompagnent le produit.
Vous pouvez vous saisir d’une bouteille en magasin et prendre la dose que vous voulez. Après tout, comment les vitamines pourraient-elles être dangereuses alors que vous pouvez acheter 2 kg de vitamine C en une fois, ou des capsules de vitamine E par paquet de 1000 ? Mais les signaux de la recherche semblent être plus forts, et la plupart pointent vers la même direction : ce que nous pensions savoir à propos des antioxydants reposait sur des hypothèses simplistes sur la nutrition et la santé. Et tandis que nous pensions nous faire du bien avec des suppléments d’antioxydants, nous pourrions nous être faits du mal.
Que font les athlètes qui s’entraînent plusieurs heures par jour ? Ceux qui se préparent pour un marathon par exemple et qui s’épuisent plus de 20 heures par semaine pour s’entraîner ? Ils stockent et avalent des bouteilles ou pilules de vitamines en tous genres, et ses antioxydants.
Pour maximiser ses entraînements, sa récupération et minimiser le risque de blessures et de fatigue, les vitamines sont souvent sur la table de chevet du sportif. L’oxydation semble être la bête à abattre, telle une voiture qui rouille, et les antioxydants résonnent comme une panacée en matière de prévention, c’est pourquoi leur recours est très fréquent chez les athlètes [3].
Mais il s’avère que non seulement les antioxydants semblent complètement inefficaces, mais qu’ils compromettent aussi certains des gains recherchés avec tous ces entraînements. Ces dernières années, de plus en plus de données sur les antioxydants et le sport sont apparues. Une analyse a résumé tout cela dans un article publié dans le journal Sports Medicine [4], bien que le principal défaut de cet article soit qu’il s’agit d’un article de revue seulement, et non pas d’une revue systématique, et que la méthodologie et la qualité des études sélectionnées n’ait pas été décrite. Cependant, il peut servir de point de départ pour une analyse plus systématique.
Pourquoi des antioxydants ?
Il existe des données épidémiologiques qui suggèrent qu’un régime à base d’aliments naturellement riches en antioxydants est associé à une meilleure santé. Ainsi, si certains antioxydants sont bons, avaler plus d’antioxydants pourrait être meilleur… croit-on. Au minimum, les suppléments pourraient permettre à ceux qui détestent les fruits et légumes d’obtenir tous les bénéfices pour la santé de leurs homologues mangeurs de végétaux.
L’oxydation (la perte d’un électron) et la réduction (le gain d’électron) sont omniprésentes dans les réactions biochimiques. Alors que l’oxygène est essentiel à la vie, les flux de la respiration ont le pouvoir d’endommager les cellules sous la forme de “dérivés réactifs de l’oxygène ” ou ROS (pour reactive oxygen species). Les ROS peuvent endommager les membranes cellulaires et les autres composants. Le déséquilibre est parfois appelé “stress oxydatif”.
Les antioxydants travaillent à éliminer le stress oxydatif en neutralisant les ROS quand ils se développent, ce qui bloque les dégâts cellulaires. Nous avons évolué en développant des systèmes complexes pour produire plusieurs antioxydants (par ex. le glutathion, l’acide urique, la coenzyme q-10) de façon endogène, le processus est trop critique pour reposer seulement sur la consommation d’antioxydants alimentaires comme la vitamine C, vitamine E et le béta-carotène, qui jouent aussi un rôle dans la gestion des ROS.
L’hypothèse des antioxydants pour le sport est simple : vous faites plus d’exercice, vous respirez plus et oxydez plus. L’exercice peut aussi endommager les tissus musculaires. Ainsi l’idée de stimuler les réserves d’antioxydants pour contrecarrer les effets négatifs de l’exercice a vu le jour. Les résultats attendus : de meilleurs entraînements et une récupération plus rapide. Mais comme le dit l’adage, c’est un peu plus compliqué que ça.
Les auteurs de l’article cité plus haut ont trouvé 150 études, mais la plupart était de petite taille et avec des méthodologies assez médiocres.
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Comme on peut en trouver fréquemment dans la recherche en nutrition sportive, la grande majorité ne possède pas tous les attributs de l’étude scientifique de qualité (contrôlée contre placebo, en double-aveugle, randomisée avec une analyse statistique poussée). Au lieu de cela, la plupart des études ne fournissent pas suffisamment de détails en ce qui concerne les critères d’inclusion et d’exclusion, la justification de leur taille d’échantillon, les événements défavorables, les données récoltées et les méthodes de reporting, de randomisation, d’allocation et de dissimulation, ni une évaluation des réussites en aveugle. La qualité médiocre de la majorité des études dans ce domaine augmente la possibilité de biais et d’erreurs, et doit toujours être prise en considération quand il s’agit d’évaluer les résultats.
Résumer les données est compliqué à cause des différents suppléments étudiés, des différents critères d’évaluation, différentes durées, doses et l’absence de résultats consensuels. Le critère d’évaluation final le plus fréquent était celui du stress oxydatif, et les données suggèrent que les antioxydants réduisent ce paramètre (bien qu’elles ne soient pas toujours constantes). Il a même été montré avec la vitamine C, la vitamine E, le béta-carotène et d’autres antioxydants.
Est-ce une bonne nouvelle ? Pas vraiment. Car il s’agit d’un critère qui n’a pas de relation démontrée avec quoi que ce soit de significatif, telle que la performance ou la récupération.
Les évaluations des effets des suppléments d’antioxydants sur les dégâts musculaires causés par le sport sont décevantes. L’approche habituelle de la recherche est d’examiner les mesures des dégâts musculaires dans le flux sanguin, des enzymes comme la créatine kinase, qui sont des indicateurs de la rupture cellulaire. Mais les éléments de preuve sont mitigés, il n’y a pas de preuve suffisamment forte pour suggérer que les suppléments ont un effet significatif sur les dégâts musculaires. Ce qui est plus problématique encore est que certaines études ont suggéré que les suppléments pourraient induire des blessures aux muscles et donc retarder la récupération.
Ainsi, est-ce que les antioxydants ont des bénéfices sur l’exercice ?
Faut-il choisir cette barre énergétique avec des suppléments de vitamines ? Les données sont ici plus constantes : il n’y a pas de preuve solide d’une augmentation des performances quand des antioxydants sont avalés pendant l’exercice. A quelques exceptions, des suppléments avec un seul ingrédient et des mélanges de vitamines C, E, coenzyme Q10, quercétine et des polyphénols comme le resvératrol n’ont en général pas réussi à démontrer avoir des effets dans des études sur des animaux et des êtres humains. De nouveau, la qualité des études et le manque de reproduction de nombreuses études empêchent toute conclusion définitive et ferme.
La période après l’entrainement est celle où l’on a le plus de données. En effet, les compléments d’antioxydants semblent travailler contre les effets bénéfiques du sport pour le coeur. Leurs mécanismes pourraient :
favoriser, plutôt que réduire, le stress oxydatif : dans certains cas les suppléments apparaissent augmenter les indicateurs de l’inflammation, plutôt que les réduire.
Réduire la capacité à s’adapter au stress oxydatif causé par le sport : les cellules s’adapteront naturellement à l’augmentation des ROS en régulant vers le haut les systèmes d’enzymes endogènes. Les suppléments pourraient bloquer cette adaptation endogène.
Affecter les processus physiologiques comme la contraction des muscles et la sensibilité à l’insuline : les compléments, en affectant la concentration de ROS, pourraient interférer avec la fonction et la récupération musculaires provenant des effets du sport. Une étude de Ristow [5] a identifié que la supplémentation en vitamine E et C inhibait les effets de l’exercice sur la sensibilisation à l’insuline. Le résultat, pour les diabétiques qui font du sport et qui prennent des antioxydants, pourrait signifier une élimination des bénéfices escomptés.
Conclusion
Ainsi, que dit la science à propos des antioxydants et le sport ?
Les solutions les plus simples pourraient être les plus fausses. Des critères d’évaluation comme ceux qui mesurent le stress oxydatif, ne peuvent pas être extrapolés pour en inférer des effets positifs pour la santé en l’absence de données qui les confirment. Comme dans d’autres domaines des thérapies alternatives, notre capacité à tirer des conclusions est limitée par un manque de données valables.
Les preuves sont faibles et généralement peu convaincantes quand il s’agit des effets des suppléments d’antioxydants sur l’exercice. Nous en sommes donc réduits à prendre des décisions à partir d’une information incomplète. A la lumière de ce que nous savons sur les antioxydants et l’exercice, la tendance des données pointe fortement en faveur d’une absence de bénéfice, avec la possibilité qu’il puisse même y avoir des conséquences négatives.
En regardant les preuves épidémiologiques qui ont analysé la mortalité, les cancers et les autres données, l’utilité des suppléments d’antioxydants s’effondre encore plus. Le meilleur conseil à donner à ceux qui font du sport semble être de s’en tenir à un régime riche en fruits et légumes, et de laisser les bouteilles et pilules d’antioxydants dans les rayons des magasins.
Références :
[1] Beta-carotene supplementation and cancer risk : a systematic review and metaanalysis of randomized controlled trials. Druesne-Pecollo N, Latino-Martel P, Norat T, Barrandon E, Bertrais S, Galan P, Hercberg S. Int J Cancer. 2010 Juil. 1 ;127(1):172-84.
[2] Vitamin E and the Risk of Prostate Cancer. The Selenium and Vitamin E Cancer Prevention Trial (SELECT). JAMA, Nov 23/30, 2011, Vol 306, No. 20, pp 2187-2283.
[3] The use of dietary supplements by athletes. Maughan RJ, Depiesse F, Geyer H ; International Association of Athletics Federations. J Sports Sci. 2007 ;25 Suppl 1:S103-13.
[4] Peternelj TT, & Coombes JS (2011). Antioxidant Supplementation during Exercise Training : Beneficial or Detrimental ? Sports medicine (Auckland, N.Z.), 41 (12), 1043-69 PMID : 22060178.
[5] Antioxidants prevent health-promoting effects of physical exercise in humans. PNAS, 2009.