Les gauchers ont toujours été un mystère. Représentant seulement 10% de la population humaine générale, les gauchers ont dans le passé été traités avec suspicion et ont été persécutés. Certaines langues continuent d’ailleurs de perpétuer cette ambiguïté, le mot “sinistra” en italien signifiant “gauche”, et “sinistre” est un dérivé de “gaucher”.
Des chercheurs de l’Université Northwestern ont rapporté qu’un important degré de coopération, et non pas de bizarrerie ou de sinistre, joue un rôle dans la rareté des gauchers. Ils ont développé un modèle mathématique qui montre que le faible pourcentage de gauchers est le résultat d’un équilibre entre la coopération et la compétition dans l’évolution humaine.
Le Professeur Daniel Abrams et ses collègues ont utilisé des données internationales provenant du monde du sport de compétition pour tester et confirmer l’hypothèse selon laquelle le comportement social est associé au fait d’être gaucher ou droitier, et à sa répartition dans la population. Leurs résultats ont été publiés dans le Journal of the Royal Society Interface [1].
“Plus un animal est social – où la compétition est fortement valorisée – plus la population tendra vers un côté” dit Abrams. “Le facteur le plus important pour une société efficace est un important degré de coopération. Chez les êtres humains, cela a eu pour résultat de favoriser les droitiers qui sont devenus majoritaires.”
Si les sociétés étaient totalement coopératives, tout le monde utiliserait la même main, explique Abrams. Mais si la compétition était plus importante, on pourrait s’attendre à ce que la répartition entre gauchers et droitiers dans la population soit de 50-50. Le nouveau modèle peut prédire avec précision le pourcentage de gauchers dans un groupe – humains, perroquets, joueurs de baseball, golfeurs – à partir des degrés de coopération et de compétition dans les interactions sociales.
Le modèle permet d’expliquer notre monde de droitiers de nos jours et dans le passé : le ratio 90/10 de droitiers contre gauchers est resté le même depuis plus de 5000 ans. Il explique aussi la domination des athlètes gauchers dans de nombreux sports, où la compétition peut conduire le nombre de gauchers à un niveau plus élevé et disproportionné.
La compétition favorise l’utilisation de la même main – pour partager les mêmes outils par exemple. La compétition physique, d’un autre côté, favorise l’inhabituel. Dans un combat, un gaucher dans un monde de droitiers aura un avantage.
Abrams et ses collègues se sont tournés vers le monde du sport pour avoir des données visant à soutenir leur théorie de l’équilibre et de la coopération. Leurs modèles prédisaient avec précision le nombre d’athlètes de haut niveau gauchers au baseball, à la boxe, au hockey, à l’escrime et au tennis de table – plus de 50% parmi les joueurs de baseball et bien au-delà des 10% (taux général constaté dans la population) pour les autres sports.
D’un autre côté, le nombre de golfeurs gauchers PGA qui réussissent est très faible, seuls 4%. Le modèle avait aussi prédit cela. “La précision des prédictions de notre modèle, quand il est appliqué aux données sportives, confirme l’idée que nous retrouvons le même effet dans la société humaine” dit Abrams.
Le fait d’être gaucher, la préférence de l’utilisation d’une main plutôt qu’une autre, est partiellement génétique et partiellement environnemental. Des jumeaux identiques, qui partagent exactement les mêmes gènes, ne partagent pas toujours la même utilisation de la main.
“Étant donné que les ordinateurs et la simulation sont de plus en plus répandus en science, il est important de créer des modèles mathématiques compréhensibles sur le phénomène qui nous intéresse, tels que la minorité de gauchers” dit-il. “En laissant de côté certains éléments non nécessaires, ces modèles simples peuvent nous donner un aperçu des aspects les plus importants d’un problème, parfois même en éclairant des choses qui semblaient pourtant hors du domaine des mathématiques.”
Références :
[1] D. M. Abrams, M. J. Panaggio. A model balancing cooperation and competition can explain our right-handed world and the dominance of left-handed athletes. Journal of The Royal Society Interface, 2012 ; DOI : 10.1098/rsif.2012.0211