Les êtres humains restent tardivement des enfants comparés aux autres primates, ils passent presque deux fois plus de temps dans la période de l’enfance et de l’adolescence que les chimpanzés, les gibbons et les macaques. Mais pourquoi ? L’une des théories largement acceptée, mais difficile à tester, est que les cerveaux des enfants consomment tellement d’énergie qu’ils détournent le glucose du reste du corps, ce qui ralentit leur croissance. Mais une récente étude sur la consommation du glucose et la croissance du corps chez les enfants confirme ces hypothèses d’une “dépense excessive des tissus”.

Des études passées ont montré que nos cerveaux se goinfrent entre 44% et 87% de l’énergie totale consommée par nos corps au repos durant l’enfance et l’adolescence. Est-ce que cela pourrait expliquer pourquoi il faut tant de temps pour grandir ? L’un des moyens pour le savoir est de faire des études plus précises sur le métabolisme du cerveau pendant l’enfance, mais ces études n’existent pas actuellement. Pourtant, une nouvelle étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) [1] a rassemblé trois ensembles de données pour fournir un test de cette hypothèse

D’abord, les chercheurs ont utilisé une étude sur des PET scans datant de 1987 de 36 personnes entre leur enfance et 30 ans pour estimer les tendances de consommation en glucose par trois régions majeures du cerveau selon leur âge. Puis, pour calculer comment la consommation varie pour le cerveau en entier, ils ont associé ces données aux volumes cérébraux et aux âges de plus de 400 individus âgés entre 4,5 ans et l’âge adulte. Enfin, pour associer l’âge et la consommation de glucose par le cerveau à la taille du corps, ils ont utilisé une série de poids de cerveaux et de corps de différents âges de plus de 1000 personnes de la naissance à l’adolescence, qui avaient été collectés en 1978.

Les chercheurs ont trouvé que quand le cerveau demande beaucoup d’énergie, la croissance du corps ralentit. Par exemple, la période de consommation de glucose la plus importante – entre 4,5 ans et 5 ans – coïncide avec la période pendant laquelle on prend le moins de poids. Cela suggère fortement que les besoins élevés du cerveau en énergie pendant l’enfance sont compensés par une croissance plus lente.

Cet article montre de façon convaincante que les demandes contradictoires du cerveau et du corps en besoins énergétiques pour la croissance se traduisent, chez les êtres humains, par une séquence temporelle de croissance retardée.

L’hypothèse du tissu couteux a d’abord été proposée en 1995 [2] par les anthropologues Leslie Aiello et Peter Wheeler. Bien qu’on pensait au début que des cerveaux plus gros étaient compensés par des systèmes digestifs plus petits, les études qui ont suivi ont révélé que d’autres mécanismes pouvaient être aussi à l’œuvre. Des scientifiques ont suggéré que des régimes alimentaires riches en énergie, une croissance et une reproduction retardées et une mobilité peu gourmande en énergie pouvaient aider à alimenter un cerveau énergivore. Les êtres humains montrent des signes de ces trois éléments : nous cuisinons et mangeons de la viande, ce qui augmente la consommation énergétique ; nous grandissons plus lentement et nous reproduisons plus tard, et enfin nous marchons sur deux jambes ce qui économise de l’énergie par rapport à nos cousins quadrupèdes. Cette étude supporte donc le compromis entre une croissance retardée et des cerveaux plus gros.

La prochaine étape, dans l’idéal, serait de voir si un compromis similaire concernant la croissance existe aussi chez d’autres primates. Mais cela s’avère être plus difficile, notamment pour ce qui est d’obtenir des données de PET scans sur l’utilisation du glucose par le cerveau durant les années de croissance chez d’autres primates proches, et sans doute impossible pour les espèces les plus intéressantes pour la comparaison comme les chimpanzés, concluent les chercheurs.

Références :

[1] Metabolic costs and evolutionary implications of human brain development. Christopher W. Kuzawaa, Harry Chuganic, Lawrence Grossmanf, Leonard Lipoviche, Otto Muzikd, Patrick Hofg, Derek Wildmanf, Chet Sherwoodj, William Leonarda, Nicholas Langek, PNAS, 2014.

[2] Swapping Guts for Brains. Science, 2007 : Vol. 316, no. 5831, pp 1560.

A lire également