La “sagesse” populaire affirme que l’acide lactique est à la source de tous les maux athlétiques et sportifs. Quand vous faites un exercice physique suffisamment épuisant pour entrer en “déficit d’oxygène”, c’est l’acide lactique qui causerait cette brûlure aux muscles et qui vous forcerait éventuellement à vous arrêter, et c’est l’acide lactique restant qui causerait ces courbatures du lendemain et des jours suivants, c’est du moins ce qu’ont cru pendant presque un siècle les sportifs, leur entraineurs et les kinés.

Or nous savons maintenant que c’est faux. L’acide lactique est en fait un carburant essentiel pour les muscles, et non pas un douloureux déchet (en fait, un ion appelé “lactate” se trouve dans le corps, qui peut s’associer avec un proton pour former l’acide lactique).

Le mythe de l’acide lactique prend racine dans des expériences datant de 1907 sur des muscles isolés de grenouilles. Quand les chercheurs de l’époque appliquaient un choc électrique aux muscles (qui étaient déconnectés du flux sanguin et n’avaient donc plus de source d’oxygène), ils avaient découvert que du lactate était produit.

Cependant, quand ils répétaient l’expérience en fournissant de l’oxygène, le lactate disparaissait. Pendant les quelques décennies qui sont suivi, les physiologistes ont développé l’hypothèse que les muscles produisaient du lactate quand ils étaient forcés à se contracter sans oxygène, et que cette accumulation d’acidité était ce qui causait la fatigue musculaire.

Ces idées n’avaient pas été remises en cause jusqu’à une série d’expériences dans les années 1970 par George Brooks de l’Université de Berkeley en Californie, et ce n’est que depuis la décennie passée que ses points de vue ont été plus largement acceptés. Brooks a montré qu’on ne produit pas de lactate uniquement quand on est en déficit d’oxygène [1]. En fait, nous transformons constamment nos stocks d’hydrates de carbone en lactate, même quand nous sommes au repos.

La moitié environ de ce lactate est immédiatement convertie en ATP (Adénosine Triphosphate), le carburant de base pour les contractions musculaires. La proportion de lactate utilisée de cette façon atteint 75% à 80% quand on fait de l’exercice physique, étant donné qu’il ne nécessite pas d’oxygène. Le reste va dans le sang et est utilisé pour alimenter le cœur, ou est transformé par le foie en glucose (autre source d’énergie pour les muscles au travail).

Démêler les détails complexes des cellules qui produisent du lactate de celles qui en consomment, et comment le corps conserve cet équilibre, demeure un domaine actif de recherche. Mais les implications pratiques sont claires : les études ont trouvé que les athlètes entrainés aux sports d’endurance produisaient pratiquement la même quantité de lactate que les sujets non-entrainés, mais ils l’utilisent beaucoup plus efficacement sous forme de carburant, ce qui explique que les niveaux de lactate dans leur sang ne s’élèvent pas si rapidement.

Cela signifie que même si nous n’avions pas tous les éléments scientifiques depuis cette époque, nous avions des conseils pratiques pour s’entrainer comme il faut. Le but de l’exercice physique au “seuil de lactate” ou juste en-dessous, est parfaitement logique, mais le but est d’apprendre au corps à consommer ce lactate plus rapidement, et non pas à éviter d’”empoisonner” les muscles avec trop de lactate.

Dans ce cas, qu’est-ce qui cause cette fatigue dans les muscles ? L’une des théories avancée par des chercheurs de l’Université de Columbia est que les muscles épuisés commencent à se vider de calcium, ce qui diminue la force des contractions musculaires [2]. Alors que cela pourrait constituer une partie du problème, il est peu probable qu’il n’y ait qu’un seul facteur qui cause cette fatigue. Et bien que le lactate soit un précieux carburant, il est toujours possible que l’augmentation de l’acidité dans les tissus musculaires puisse interférer avec la contraction des muscles et causer cette vive gêne parfois ressentie.

Tout comme pour les courbatures musculaires qui apparaissent un jour ou deux après l’exercice, il n’y a aucune raison de blâmer l’acide lactique, qui, comme on le sait, revient à ses niveaux normaux dans le sang moins d’une heure après avoir arrêté de faire du sport, aussi intense soit-il.

Références :

[1] Cell-cell and intracellular lactate shuttles. George Brooks, Journal of Physiology, 2009, 587(23), 5591-5600.

[2] Remodeling of ryanodine receptor complex causes leaky channels : A molecular mechanism for decreased exercise capacity. AM Bellinger et al. PNAS, 2008, 105(6), 2198-2202.

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