Nausées matinales, cheveux ternes, envies étranges et intenses de fraises ou de glace, quelles attentes les femmes enceintes imposent-elles à leur corps ? Et dans quelle mesure ces attentes sont-elles influencées par des perspectives culturelles sur la grossesse ? C’est l’objet d’une étude d’une chercheuse de l’Université de Cincinnati, Danielle Bessett, présentée lors du 108 Congrès de l’American Sociological Association [1].
Bien que des enquêtes précédentes aient indiqué que les femmes se tournent vers des sources médicales pour savoir à quoi s’attendre quand elles sont enceintes, la recherche de Bessett a découvert que les femmes enceintes sont fortement influencées par les rumeurs populaires provenant de leurs cercles sociaux et médiatiques à propos de tout ce qui touche leur grossesse.
La chercheuse appelle ce phénomène des “mythologies de la grossesse” : des formes fragmentées, contradictoires et insaisissables de connaissance.
“Certaines femmes les tirent surtout des traditions ethnico-religieuses, tandis que d’autres ont peu, voire pas du tout, d’expérience personnelle de la grossesse” dit-elle. “Certaines ont des histoires compliquées sur la reproduction. Selon leurs différentes régions biographiques et structurales, les femmes soutiennent, se désolent, critiquent et contestent des aspects clés de la mythologie de la grossesse” dit Besset, ajoutant que toutes les femmes interrogées ont été confrontées à ces mythologies.
Elle déclare que la plupart des femmes tendent à minimiser l’influence des mythologies de la grossesse quand on leur demande directement les sources d’information auxquelles elles font le plus confiance. C’était seulement quand elles ont été poussées à expliquer comment elles en sont venues à avoir des attentes précises de ce qui allait se passer durant leur grossesse, que les femmes se référaient à des sources médiatiques.
En effet, les femmes se sont elles-mêmes trouvées sans explication sur la façon dont elles avaient appris ce qui se “passe normalement” quand on est enceinte.
Dans ses enquêtes [2], la chercheuse a trouvé que certaines femmes s’inquiétaient quand elles ne vivaient pas certains symptômes associés communément à la grossesse comme les nausées matinales, en ayant peur que quelque-chose n’aille pas avec la santé du fœtus.
“Qu’ils soient agréables, incommodes ou handicapants, les symptômes de la grossesse ne sont pas simplement traités comme des effets secondaires de la grossesse dans nos cultures, mais plutôt comme une connexion importante au fœtus et à la subjectivité fœtale” dit-elle.
Par exemple, une mère disait que ses vomissements intenses venaient de ce que son bébé n’aimait pas ce qu’elle mangeait. Une autre expliquait que ses envies étaient dues à son bébé “qui aimait les frites”. “De nombreux symptômes sont fréquemment perçus comme des manifestations tangibles des désirs, des besoins ou des traits personnels du fœtus” ajoute-t-elle.
Alors que des problèmes tels que les nausées, les envies et les douleurs de l’accouchement étaient saillants dans la mythologie, Bessett déclare que d’autres affections comme l’épuisement, l’insomnie, les gaz, les migraines et les chevilles enflées n’étaient pas associées ni discutées aussi fréquemment. “Que ce soit parce qu’ils sont assez rares (comme les saignements de nez associés à la grossesse) ou parce qu’ils concernent des parties du corps dont la discussion n’est pas ’appréciée’ (comme les hémorroïdes), ces symptômes ne sont pas typiquement décrits dans les récits médiatiques sur la grossesse, pas plus que les symptômes que des amis et la famille partagent souvent avec des femmes en grossesse avancée” écrit Besset.
Elle conclut que “nous pourrions sous-estimer dans quelle mesure chacun d’entre nous portons une ’connaissance’ de la grossesse fabriquée de manière croissante à travers une succession de rencontres éphémères durant notre vie, et dans quelle mesure ces ’connaissances’ nous touchent”
Références :
[1] Expecting Embodiment : Pregnancy Symptoms and the Cultural Mythologies of Pregnancy. Danielle Bessett.
[2] Les participantes de l’étude : 64 femmes enceintes habitant la grande métropole de New York de 2003 à 2006. Toutes les participantes étaient engagées dans des soins prénataux à l’époque des enquêtes. La moitié des participantes était enceinte pour la première fois. 23 des participantes fréquentaient un hôpital public, le reste avait recours à des soins privés. Les femmes étaient de toutes catégories socio-économiques et de différentes origines raciales/ethniques, pourtant leur attentes au regard de la grossesse étaient similaires.
La moitié des femmes interrogées étaient considérées comme blanches, 12 comme noires, 14 comme Hispaniques/blanches et deux comme Hispaniques/noires. Deux femmes ont été identifiées comme Asiatiques et une comme métis. L’échantillon était économiquement varié, avec un tiers des femmes qui a rapporté des revenus sous 30000 euros/an et pas tout à fait la moitié à 60000 euros ou plus.