Malgré sa mauvaise presse, la graisse stockée dans le corps est en fait une chose réellement formidable. Sans cette capacité de stocker de l’énergie sous la forme de graisse, nous aurions été incapables de survivre pendant ces millions d’années d’évolution et nous serions certainement très différents de ce que nous sommes actuellement. Nous avions besoin de stocker de l’énergie pour survivre pendant les périodes de famine, et la graisse est une façon très logique de le faire.
Même un homme relativement mince de 75 kg possède plus de 100 000 kcal stockées sous forme de graisse [1]. Si nous devions stocker cette énergie sous une autre forme – comme par exemple sous forme de glycogène, qui est la forme de stockage des glucides – notre poids augmenterait de 40 à 60 kg (car le glycogène est une énergie moins dense qui se stocke en association avec l’eau). Il suffit d’imaginer un chasseur-cueilleur devant se déplacer chargé de deux grosses valises pleines pour avoir une idée expliquant pourquoi il a été si utile de stocker cette énergie sous forme de graisse.
Ainsi, alors que la graisse est souvent diabolisée, elle a été notre amie pendant des millions d’années d’évolution. Ce qui explique pourquoi nos corps stockent leur énergie sous cette forme et développent des systèmes pour la conserver au cas où une famine pointerait le bout de son nez.
Mais nos relations avec la graisse ont changé. Alors qu’un peu de graisse est essentielle et bonne pour la santé, le fait de trop en accumuler a un impact nuisible sur notre santé en augmentant le risque de maladies chroniques [2]. Ainsi, le fait de stocker trop d’énergie sous forme de graisse n’est évidemment pas une bonne chose. Malheureusement, trop de gens stockent trop d’énergie en graisse de nos jours, et beaucoup d’individus dans les pays développés sont désormais considérés comme en surpoids ou obèses [3].
Difficile à éliminer
L’excès de graisse stockée est un problème particulièrement difficile à résoudre, en partie parce que nous avons évolué avec des processus assez sophistiqués pour protéger nos stocks de graisses une fois que nous les avons acquis.
L’un des systèmes physiologiques les mieux décrits implique la leptine, une protéine secrétée par nos stocks de graisse (le tissu adipeux) – qui signale au cerveau qu’il y a plein d’énergie disponible stockée sous forme de graisse. Quand elle a été découverte, l’excitation était à son comble car on pensait que la leptine pourrait être administrée comme traitement pour traiter l’obésité – peut-être sous la forme d’injection qui tromperait le corps en lui faisant croire qu’il y a de grandes quantités de graisse disponible afin de moins manger. Malheureusement, ces traitements potentiels n’étaient pas efficaces et nous savons maintenant pourquoi.
Quand nous stockons de plus en plus de graisse, le niveau de leptine dans notre sang augmentera proportionnellement à l’augmentation de la graisse stockée [4]. Notre cerveau va s’habituer à ces niveaux élevés de leptine, ainsi le fait d’administrer plus de leptine au-delà de ce niveau déjà élevé ne semble pas être d’une grande aide. Au lieu de cela, c’est quand les niveaux de leptine chutent que la leptine devient un signal très important. Quand nous essayons de maigrir, il y a une baisse disproportionnellement plus importante [5] de la leptine en circulation malgré une perte de poids modeste [6].
Une chute de la leptine est une tentative de protéger nos stocks de graisse, car la leptine fonctionne comme un signal au cerveau, dans une boucle de rétroaction négative qui maintient la stabilité de la masse grasse [7]. Une baisse de la leptine est associée à une augmentation des sensations de faim [8] et à une augmentation des comportements “associés à la récompense” [9]. Une réduction de la leptine est également un déclencheur de symptômes dépressifs chez les animaux [10]. Ainsi, quand nous essayons de perdre du poids, notre tissu adipeux envoie des signaux au cerveau pour essayer de résister à toute perte supplémentaire de graisse ; nous nous sentons affamés, nous cherchons une compensation, et nous pourrions nous sentir quelque peu abattus ou déprimés.
Que peut-on faire contre cela ? Une étude récente [11] a indiqué que le tissu de graisse pourrait avoir d’autres propriétés que nous pourrions être en mesure de manipuler pour nous aider. Certains types de cellules de graisse spécialisées (les adipocytes) ont la capacité de brûler de l’énergie pour nous aider à nous garder au chaud (processus appelé la thermogenèse). Les auteurs ont montré que ce type de thermogenèse est normalement bloqué par une protéine appelée sLR11. Ceci explique logiquement pourquoi, pendant des millions d’années, nous nous sommes efforcés de stocker la graisse pour ne l’utiliser que quand c’était vraiment nécessaire.
Dans cette étude, des souris modifiées sans sLR11 n’ont pas pris de poids quand elles étaient suralimentées parce qu’elles brûlaient plus d’énergie qu’elles n’en consommaient. Les auteurs ont aussi montré, sur un petit nombre de patients ayant subit une opération chirurgicale bariatrique, que la chute de la sLR11 était associée à une baisse de la masse de graisse. À partir de ces observations, ils ont montré que la sLR11 empêchait le gaspillage d’énergie via la thermogenèse dans les tissus adipeux. Par déduction, si nous pouvions bloquer ceci chez les êtres humains, alors nous serions en mesure de faire en sorte que le corps utilise (dépense) cette énergie plutôt que de la conserver.
Mais avant de trop enthousiasmer dans cette perspective, il faut savoir que ce type de thermogenèse est principalement limitée à certains types de cellules de graisse (les adipocytes bruns ou “graisse brune”) et ces cellules sont plus rares et probablement moins importantes chez les êtres humains que chez les rongeurs [12]. Nous pouvons aussi réaliser une thermogenèse par d’autres moyens comme en brûlant de l’énergie par le mouvement. Nous savons que l’augmentation de la thermogenèse par le mouvement conduit à une baisse de la leptine, et ceci explique probablement pourquoi un programme d’exercices physiques conduit les gens à manger plus et à ne pas perdre autant de poids qu’ils le devraient et voudraient [13]. Mais il reste à démontrer que le fait de brûler de l’énergie en augmentant la thermogenèse adipeuse aura les mêmes effets chez les êtres humains.
Ainsi, pour l’instant, il est important de se rappeler que quand vous prenez quelques kilos, votre corps va considérer ceci comme une réussite, et qu’il luttera dur pour garder ces kilos supplémentaires.
Références :
[1] Physiol Rev. 2012 Jan ;92(1):157-91. Physical activity and exercise in the regulation of human adipose tissue physiology. Thompson D, Karpe F, Lafontan M, Frayn K.
[2] Health and economic burden of the projected obesity trends in the USA and the UK. The Lancet, Vol. 378, No. 9793, p815–825, 2011.
[3] Obésité et surpoids. OMS, Aide-mémoire N°311, 2015.
[4] Am J Clin Nutr. 2009 Mar ;89(3):973S-979S. 2009. Leptin at 14 y of age : an ongoing story. Friedman JM.
[5] Turner, J. E., Markovitch, D., Betts, J. A. Thompson, D., 2010. Nonprescribed physical activity energy expenditure is maintained with structured exercise and implicates a compensatory increase in energy intake. The American Journal of Clinical Nutrition, 92 (5), pp. 1009-1016.
[6] Metabolism. 2006 ;55(10):1375-81. Effect of aerobic training on plasma levels and subcutaneous abdominal adipose tissue gene expression of adiponectin, leptin, interleukin 6, and tumor necrosis factor alpha in obese women.
[7] Am J Clin Nutr. 2009 Mar ;89(3):973S-979S. 2009, Leptin at 14 y of age : an ongoing story.
[8] Am J Clin Nutr. 1998 Oct ;68(4):794-801. Relation between circulating leptin concentrations and appetite during a prolonged, moderate energy deficit in women.
[9] Leptin and the Control of Body Weight : A Review of Its Diverse Central Targets, Signaling Mechanisms, and Role in the Pathogenesis of Obesity. Obesity, Vol. 18, Iss. 2, pp 221–229, 2010.
[10] Leptin : A potential novel antidepressant. PNAS, vol. 103 no. 5, Xin-Yun Lu, 1593–1598.
[11] Soluble LR11/SorLA represses thermogenesis in adipose tissue and correlates with BMI in humans. Nature Communications 6, Article 8951.
[12] The characterization and energetic potential of brown adipose tissue in man. S. Cunningham, P. Leslie, D. Hopwood, P. Illingworth, R. T. Jung, D. G. Nicholls, N. Peden, J. Rafael, E. Rial. Clinical Science, 1985, 69 (3) 343-348 ;
[13] Turner, J. E., Markovitch, D., Betts, J. A., Thompson, D., 2010. Nonprescribed physical activity energy expenditure is maintained with structured exercise and implicates a compensatory increase in energy intake. The American Journal of Clinical Nutrition, 92 (5), pp. 1009-1016.