L’une des questions les plus épineuses en science du sport ces derniers temps est de savoir combien de litres d’eau il est possible de perdre avant que les performances commencent à en souffrir. La règle d’or standard est que perdre 2 % de son poids initial est un signal de problèmes à venir ; mais d’un autre côté, des mesures prises en compétition ont trouvé que les athlètes de haut niveau perdent habituellement beaucoup plus. Haile Gebrselassie a perdu environ 10 % de son poids de départ pendant plusieurs marathons, y compris lorsqu’il a battu le record du monde [1].

Or une étude montre que lors des événements d’ultra-endurance il est possible de perdre jusqu’à 6 % de son poids de départ sans être déshydraté du tout. Cela vient de ce que la perte de poids ne correspond pas obligatoirement à une pure perte d’eau. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte.

L’un d’eux est que quand on court on brûle des glucides, des graisses et des protéines pour alimenter les muscles. Et, comme les cendres restantes après un bon feu de camp, une fois que le carburant est consommé il n’est plus là. Les produits dérivés de ces réactions chimiques sont le dioxyde de carbone qu’on expire (ce qui réduit le poids du corps), et l’eau qui s’ajoute aux fluides dans le corps qui maintiennent les cellules hydratées.

En outre, quand le corps stocke les glucides dans les muscles et dans le foie, il bloque aussi entre 1 et 3 grammes d’eau pour chaque gramme de glucides. Quand on commence à brûler ces stocks de glucides, l’eau associée est aussi envoyée dans la circulation.

Dans un article scientifique de 2007 [2], un chercheur de l’université de Loughborough a estimé que, sur toute la durée d’un marathon, ces facteurs pourraient permettre à un marathonien de perdre de 1 % à 3 % de son poids de départ sans aucune réduction réelle de son hydratation interne. Pour un coureur de 68 kg, cela correspond à 0,70 kg à 2 kg.

Cela peut permettre d’expliquer les différences observées entre les expériences en laboratoire et la compétition réelle. Si on donne un diurétique à quelqu’un ou qu’on le met dans une pièce très chaude pour le déshydrater (comme ce fut le cas dans le protocole de plusieurs expériences sur l’hydratation), alors 2 % de perte de poids est 2% de déshydratation. Mais dans le contexte d’un exercice difficile, dans lequel on brûle de l’énergie et utilise son stock de glucides, ce n’est plus le cas.

En fait, on peut s’attendre à ce que l’importance de ces facteurs augmente avec la durée de l’exercice, ce qui est précisément ce que la nouvelle analyse a montré [3]. Les chercheurs ont fait équipe avec le chercheur en ultra-endurance Martin Hoffman et le chercheur en hydratation Éric Goulet de l’université de Sherbrooke pour analyser les chiffres d’un coureur type qui a terminé l’ultra-marathon trail de 160 kilomètres Western States Endurance Run.

Les résultats ont montré qu’un coureur type qui a terminé cette course pouvait s’attendre à perdre de 4,5 % à 6,5 % de son poids de départ simplement pour maintenir ses niveaux d’hydratation. Il s’agit d’une découverte assez remarquable, et qui va à l’encontre de ceux qui ne veulent pas perdre de poids du tout, ou qui veulent le limiter à 2 %.

Comment comparer cela à ce que font les ultra-marathoniens dans la vraie vie ? Dans une étude de 2013 publiée dans Medicine & Science in Sports & Exercise [4], Hoffman et ses collègues ont collecté des données provenant de cinq années d’observation de l’épreuve Western States (y compris une autre course de 160 km similaire à la Western States). Ci-dessous le graphique des changements du poids de corps des coureurs (sur l’axe vertical), contre la performance relative (les coureurs les plus rapides sont sur la gauche, les plus lents sur la droite) :


On peut remarquer qu’il y a une grande dispersion des 887 points de données, qui vont d’une perte de poids de 8 % jusqu’à un gain de 10 % ! Globalement, il y a une légère tendance (mais non significative statistiquement) que les coureurs les plus rapides perdent le plus de poids. Il n’y a sans doute pas de preuve montrant que les coureurs les plus lents souffrent d’hydratation.

Seulement 19,1 % des coureurs ont perdu plus de 3 % de leur poids de corps de départ, ce qui est assez remarquable si l’on considère les estimations ci-dessus selon lesquelles 4 % à 6 % de perte de poids correspond à une conservation de l’hydratation. Au contraire, 36,5 % des coureurs ont pris du poids après avoir couru entre 15 et 30 heures.

Qu’est-ce que ceci signifie concrètement ? L’idée générale est qu’il faut s’attendre à perdre du poids quand on fait une telle course, il faut boire quand on a soif mais il est inutile de prendre un supplément de sodium, et il faut avoir assez d’eau sur soi en cas de besoin pour satisfaire sa soif entre chaque station de ravitaillement. L’hydratation est bien entendu quelque-chose d’important, mais l’idée qu’il faudrait à tout prix peser le même poids à la fin de la course qu’au début n’est pas fiable, surtout si la course est assez longue pour brûler beaucoup de carburant.

Références :

[1] Clin J Sport Med. 2012 ;22(3):254-61. Drinking behaviors of elite male runners during marathon competition.

[2] J Sports Sci. 2007 ;25(7):797-804. Errors in the estimation of hydration status from changes in body mass.

[3] Abstracts for the 4th Annual Congress on Medicine & Science in Ultra-Endurance Sports. International Journal of Sports Physiology and Performance, 2016, 11, S1-1–S1-3.

[4] Med Sci Sports Exerc. 2013 ;45(4):784-91. Exercise-associated hyponatremia and hydration status in 161-km ultramarathoners.

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