“Où avez-vous mal ?” est la première question posée à quelqu’un qui ressent de la douleur. Une étude de l’University College de Londres a défini comment notre aptitude à identifier là où ça fait mal, ce qu’on appelle “l’acuité spatiale”, diffère selon les endroits du corps en étant plus sensible sur le front et sur le bout des doigts.

En utilisant des lasers pour causer de la douleur à 26 volontaires en bonne santé sans avoir à les toucher, les chercheurs ont dessiné une carte de la distribution de la douleur à travers tout le corps [1]. À l’exception de la peau imberbe sur les mains, l’acuité spatiale augmente en direction du centre du corps, tandis que l’acuité du toucher est meilleure aux extrémités. Ce modèle spatial était constant chez tous les participants.

L’expérience a aussi été réalisée sur un patient atteint d’une rare pathologie à cause de laquelle il n’a pas de sensation de toucher, mais qui ressent normalement la douleur. Les résultats sur ce patient étaient cohérents avec ceux des volontaires en bonne santé, ce qui prouve que l’acuité de la douleur n’exige pas que la sensation du toucher soit en parfait état de marche.

“L’acuité du toucher est connue depuis plus d’un siècle, et est testée quotidiennement en neurologie pour évaluer l’état des nerfs sensoriels dans le corps. Ce qui est étonnant, c’est que la même chose n’avait pas été faite pour la douleur” explique l’auteur de l’étude, le Dr Flavia Mancini de l’Institut de Neuroscience Cognitive de l’UCL. “Si vous essayez de tester la douleur avec un objet physique comme une aiguille, vous stimulez aussi le sens du toucher. Ce qui obscurcit les résultats, un peu comme si on faisait passer un test de vue avec des lunettes de soleil. En utilisant un laser spécialement calibré, nous n’avons stimulé que les nerfs de la douleur de la couche supérieure de la peau, et pas les cellules plus profondes qui ressentent le toucher.”

Les volontaires ont été mis en situation de double-aveugle et avaient des paires de lasers spécialement calibrées sur différentes parties de leur corps. Ces lasers provoquaient une brève sensation de douleur de piqûre d’épingle. Parfois, seul un laser était activé, et parfois les deux étaient activés, sans que les patients le sachent. On leur demandait ensuite s’ils ressentaient une ou deux piqûres, à différentes distances entre les deux faisceaux lasers. Les chercheurs ont enregistré la distance minimum entre les faisceaux à laquelle les gens étaient en mesure de dire avec précision s’il y avait une ou deux piqûres.

“Cette mesure nous apprenait comment les gens pouvaient localiser avec précision la source de la douleur sur différentes parties de leur corps” explique le Dr Giandomenico Iannetti, auteur de l’étude. “Le toucher et la douleur sont transportés par différents systèmes sensoriels. Alors que l’acuité tactile a bien été étudiée, l’acuité de la douleur a largement été ignorée, loin derrière l’affirmation scolaire selon laquelle la douleur a une acuité plus faible que le toucher. Nous avons découvert le contraire : l’acuité du toucher et de la douleur sont en fait très similaires. La principale différence se situe dans leurs gradients à travers le corps. Par exemple, l’acuité de la douleur à travers le bras est beaucoup plus élevée sur l’épaule que sur le poignet, alors que c’est le contraire pour le toucher.

L’acuité pour le toucher et la douleur sont normalement corrélées avec la densité des fibres nerveuses disponibles dans chaque partie du corps. Cependant, les extrémités des doigts restent très sensibles bien qu’elles aient une faible densité de cellules nerveuses qui ressentent la douleur.

“La forte acuité de la douleur des extrémités des doigts est quelque-chose de mystérieux qui demande plus de recherches” explique le Dr Mancini. “Cela pourrait venir de ce que les gens utilisent régulièrement les bouts de leurs doigts, ainsi le système nerveux central pourrait apprendre à traiter l’information avec précision.”

Ces résultats pourront avoir d’importantes implications dans l’évaluation de la douleur aigüe et chronique. “La douleur chronique touche des millions d’individus chaque année, et nous n’avons toujours pas de moyen fiable et reproductible de tester l’acuité de la douleur des patients” disent les scientifiques. “Cette méthode promet de pouvoir tester l’état du réseau de la douleur à travers le corps. La douleur chronique est souvent causée par des nerfs endommagés, mais cela est incroyablement difficile à enregistrer et à traiter. La méthode au laser nous permet d’enregistrer les dégâts nerveux à travers tout le corps, ce qui offre une façon quantitative de voir si une condition empire ou s’améliore.”

Références :

[1] Whole-body mapping of spatial acuity for pain and touch. Annals of Neurology, Vol. 75, Iss. 6, 2014, pp : 917–924, Flavia Mancini, Armando Bauleo, Jonathan Cole, Fausta Lui, Carlo A. Porro, Patrick Haggard, Gian Domenico Iannetti.

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