Il est une croyance assez répandue selon laquelle les femmes sont capables de mieux tolérer la douleur que les hommes. Le raisonnement sous-jacent à cette idée est que les femmes sont constituées pour mieux résister à la douleur parce qu’elles la vivent plus souvent pendant leur vie, avec des événements comme les règles ou l’accouchement. D’un autre côté, quand un homme normal attrape un rhume, on se moque de lui car on croirait qu’il est proche de la fin.

Il y a des différences réelles et constantes entre les sexes dans la perception et l’expérience de la douleur. Mais est-ce que ces points de vue sont utiles pour évoquer la douleur chez les hommes et les femmes ? Après tout, les hommes n’auront jamais de règles ni n’accoucheront, ainsi, nous spéculons sur la façon dont ils pourraient faire face à une telle situation. Pourquoi rejette-t-on les réactions de douleur des hommes comme étant exagérées et insignifiantes, et quel effet a cette “normalisation” de la douleur des femmes sur un traitement ?

Si nous voulons vraiment comprendre ces différences, nous devons aller au-delà des généralisations simplistes.

Les faits scientifiques contre la fiction

Les enquêtes et les études cliniques ont confirmé que les femmes éprouvent réellement plus de douleur [1], plus fréquemment et avec plus d’intensité. Elles prennent aussi plus d’analgésiques [2], souffrent plus de troubles communs relatifs à la douleur comme des migraines et troubles musculo-squelettiques, et voient plus souvent leur médecin en se plaignant de douleurs. De façon intéressante, il pourrait aussi y avoir des différences entre les sexes en réaction à certains analgésiques [3], y compris certains effets secondaires.

Pourtant, des études en laboratoire [4] ont aussi découvert que les hommes affichaient un seuil plus élevé à la douleur (le point à partir duquel on détecte la douleur) et une plus grande tolérance à la douleur par rapport aux femmes. Ceci ne veut bien entendu pas dire que les hommes sont immunisés contre la douleur ni contre les souffrances douloureuses, mais ils le sont à un point auquel les femmes sont déjà particulièrement vulnérables à la douleur. Cependant, il y a toujours beaucoup de choses que nous ne savons pas concernant son impact, et comment cela pourrait affecter le traitement contre la douleur.

Subjectif et biologique

La douleur est subjective – et le diagnostic exige que vous disiez comment vous ressentez la douleur, où elle est localisée, etc. Ainsi, les différences entre les sexes rapportées dans certaines études, comme celles-ci-dessus, pourraient donc avoir des défauts en ceci que les hommes n’aiment tout simplement pas admettre qu’ils ont mal, et ne vont voir leur médecin que quand ils sont au plus mal. On attend toujours des hommes qu’ils annihilent certaines émotions et actions, comme celle de pleurer par exemple, et ces croyances pourraient aussi affecter la façon dont la douleur est exprimée, considérée et leur réaction face à elle.

Mais les explications pour ces différences entre les sexes sont plus que des constructions sociales reposant sur des stéréotypes entre les sexes. Il y a des preuves de l’existence de certains mécanismes biologiques à l’œuvre, notamment des facteurs hormonaux. Par exemple, les différences entre les sexes dans l’incidence de certaines conditions douloureuses, comme le trouble temporo-mandibulaire, qui affecte les articulations de la mâchoire, et la migraine, sont plus prononcées pendant les années précédant la ménopause [5]. La recherche a aussi montré que la sensibilité à la douleur [6], les effets perturbateurs de la douleur [7], tout comme les symptômes associés à certaines conditions de douleur [8], peuvent tous varier selon le cycle menstruel. Les explications seront multiples, et reflèteront à la fois des influences biologiques et psychosociales.

L’inertie scientifique

Bien que ces différences entre les sexes soient constamment rapportées dans les recherches, il y a toujours une inertie considérable dans la communauté scientifique à ce sujet. Historiquement, les femmes ont été exclues des essais cliniques, et même de nos jours, peu d’études sont réellement conçues en gardant à l’esprit ces différences entre les sexes. La “douleur féminine” est souvent perçue comme normale, et ironiquement cela pourrait expliquer pourquoi elle n’a pas été considérée plus sérieusement. Il est inquiétant de voir que plusieurs études qui reconnaissent ces différences entre hommes et femmes les neutralisent statistiquement, plutôt que de les analyser pour les considérer comme des résultats importants en soi.

Quelques avancées ont été faites pour changer cette indifférence face aux sexes, mais malheureusement, ceci a été fait plutôt par le bâton que par la carotte. Certaines agences qui les financent stipulent que les études doivent prendre en considération les différences possibles entre hommes et femmes, et certains journaux scientifiques de premier plan exigent des auteurs qu’ils rapportent toute analyse pertinente.

Il est tout aussi important que, quand nous trouvons des similarités tout comme des différences entre les hommes et les femmes, ils soient aussi rapportés. Il y a, après tout, de la variabilité entre les sexes, ce qui peut indiquer d’autres médiateurs de la douleur, comme l’âge.

Nous avons aussi besoin d’aller au-delà de la simple description – nous n’avons pas seulement besoin de connaitre quand les différences apparaissent, mais pourquoi elles apparaissent, et ce qu’il peut y avoir comme implications. La douleur affecte tous nos vies, avec les coûts stupéfiants associés à la douleur et à ses traitements qui sont en augmentation [9]. Le fait d’en savoir plus sur la façon dont nous vivons la douleur et les différents types de douleur que nous subissons, doit être complètement compris plutôt que d’être dévalorisé ou banalisé, ignoré ou abandonné à des préconceptions stéréoptypiques à définir.

Références :

[1] Sex, Gender, and Pain : A Review of Recent Clinical and Experimental Findings Roger B. Fillingim, Christopher D. King, Margarete C. Ribeiro-Dasilva, Bridgett Rahim-Williams, Joseph L. Riley. J Pain. May 2009 ; 10(5) : 447–485.

[2] Prescription and non-prescription analgesic use among the US adult population : results from the third National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES III). Paulose-Ram R1, Hirsch R, Dillon C, Losonczy K, Cooper M, Ostchega Y. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2003 Jun ;12(4):315-26.

[3] Do sex differences exist in opioid analgesia ? A systematic review and meta-analysis of human experimental and clinical studies. Pain, Vol. 151, Iss. 1 , pp 61-68, 2010.

[4] Sex, Gender, and Pain : A Review of Recent Clinical and Experimental Findings. Roger Fillingim, Christopher King, Joseph Riley. The Journal of Pain, 2009 ; 10(5):447-485.

[5] An epidemiologic comparison of pain complaints. Von Korff M1, Dworkin SF, Le Resche L, Kruger A. Pain. 1988 ; 32(2):173-83.

[6] Evaluation of menstrual cycle effects on morphine and pentazocine analgesia. Pain, 2011 ; 152(3):614-622.

[7] The effects of menstrual-related pain on attentional interference. Keogh, E., Cavill, R., Moore, D.J. Eccleston, C., 2014. Pain, 155 (4), pp. 821-827.

[8] Changes in temporomandibular pain and other symptoms across the menstrual cycle. Linda LeRescheemail, Lloyd Mancl, Jeffrey Sherman, Beatrice Gandara , Samuel F Dworkin. PAIN, Vol. 106, Iss. 3 , pp 253-261, 2003.

[9] The Economic Costs of Pain in the United States. Darrell Gaskinemail, Patrick Richard. The Journal of Pain. Vol. 13, Iss. 8 , pp 715-724, 2012.

A lire également