Lorsque nous faisons de l’exercice physique régulièrement, les muscles se développent, mais ils peuvent fondre s’ils ne sont pas fréquemment ou suffisamment exercés et utilisés, d’où cette maxime populaire : “Utilisez-les ou perdez-les.” Cependant, une analyse sur ce que nous savons des muscles pendant les périodes d’exercice régulier ou les périodes de repos a remis en cause les vieilles croyances sur la façon dont les muscles se développent et s’adaptent [1].
Les cellules musculaires (les fibres) sont les plus grandes cellules du corps humain, et elles contiennent des milliers de noyaux individuels pour subvenir aux besoins de leur grand volume. Ces noyaux sont les centres de contrôle de chaque cellule et, tout comme l’ADN qu’elles hébergent, elles coordonnent une large gamme d’activités cellulaires, y compris leur croissance.
Les scientifiques pensaient que chaque noyau de la cellule régulait un volume de cellules limité et que le ratio entre le noyau et le volume cellulaire était constant, appelée le “domaine nucléaire”. Dans les muscles, cela voulait dire que pendant les périodes de croissance, comme lorsqu’on fait régulièrement de la musculation, des noyaux devaient être ajoutés à la fibre à partir du groupe de cellules souches localisé hors de la fibre musculaire.
En général, ce concept s’avère être vrai. Par exemple, les personnes qui ont la croissance musculaire la plus importante après un entrainement de musculation ont aussi l’augmentation du nombre de noyaux dans leurs fibres le plus élevé. Cette augmentation du contenu nucléaire permet aux fibres musculaires de continuer à fonctionner et à se développer de façon optimale [2].
La mémoire des muscles
Si vous passez suffisamment de temps dans les salles de sport, vous entendrez sans nul doute des anecdotes à propos de quelqu’un qui a repris l’entrainement de musculation après plusieurs années d’arrêt, et qui prend du muscle plus rapidement que les autres arrivés fraichement dans la salle. Ces contes de vestiaires sont en fait confirmés par des éléments de preuve scientifiques [3] et une recherche plus récente montre que la rétention des noyaux dans les fibres pourrait expliquer le phénomène.
Selon la théorie du domaine nucléaire, les noyaux sont perdus lorsque la taille des muscles décroit, comme pendant les longues périodes d’inactivité, afin de conserver un ratio constant entre le nombre nucléaire et le volume cellulaire. Ces dernières années cependant, une série d’expériences a trouvé que les noyaux restent en place quand la taille des muscles diminue. Ces expériences ont montré que quand les muscles sont immobilisés ou que le nerf est bloqué, les fibres musculaires rétrécissent mais il n’y a pas de perte des noyaux.
Une recherche sur des rats a aussi trouvé que les noyaux ajoutés par les muscles après un entrainement étaient conservés pendant les longues périodes sans entrainement [4]. Ces noyaux aidaient donc les muscles à se redévelopper plus efficacement lorsqu’ils reprenaient l’entrainement. Il semble que le muscle ait une “mémoire” qui permette d’expliquer pourquoi les personnes qui retournent à la salle de gym après l’avoir quittée un certain temps trouvent plus facile de prendre du muscle que les débutants.
Bien que l’affirmation “utilise-le ou perds-le” soit vraie pour la taille des muscles en soi, “utilise-le ou perds-le jusqu’à ce que tu l’utilises de nouveau” serait plus juste.
Qu’est-ce que cela implique pour le dopage ?
L’Association Mondiale Antidopage a interdit l’utilisation des stéroïdes parce qu’ils causent une croissance très importante de la taille des muscles qui, dans certains sports, pourrait être un avantage. Les stéroïdes ou leurs dérivés peuvent être détectés dans l’urine et les échantillons de sang pendant une courte période de temps, mais les bénéfices des stéroïdes sur la croissance musculaire peuvent durer longtemps après que ces traces dans les urines et le sang aient disparu.
Nous savons grâce à des études sur des souris [5] que quand les muscles se développent en réaction à l’utilisation de stéroïdes, ils acquièrent aussi des noyaux, qui sont conservés quand les muscles reviennent à leur taille normale après l’arrêt des stéroïdes (mémoire musculaire). Quand les muscles des souris sont ensuite chargés pour imiter un entrainement de musculation, les noyaux qui ont été ajoutés aident les muscles à se développer plus rapidement et à être beaucoup plus gros que les muscles des souris normales. Cela veut dire que les athlètes peuvent bénéficier de l’utilisation des stéroïdes pour développer leurs muscles sans craindre d’être détectés, et qu’ils pourraient le faire. C’est la raison des contrôles antidopage qui peuvent être faits toute l’année en dehors des périodes de compétition.
Du côté des bonnes nouvelles, ces résultats concernant la biologie de l’adaptation et de la mémoire musculaire pourraient permettre de lutter contre la perte musculaire associée au vieillissement, à la maladie et à une hospitalisation prolongée.
Références :
[1] Skeletal Muscles Do Not Undergo Apoptosis During Either Atrophy or Programmed Cell Death-Revisiting the Myonuclear Domain Hypothesis. Front. Physiol., 2019
[2] Potent myofiber hypertrophy during resistance training in humans is associated with satellite cell-mediated myonuclear addition : a cluster analysis. Journal of Applied Physiology, Volume 104, Issue 6, 2008, pp 1736-1742.
[3] J Appl Physiol (1985). 1991 ;70(2):631-40. Strength and skeletal muscle adaptations in heavy-resistance-trained women after detraining and retraining.
[4] J Physiol. 596(18):4413-4426. 2018. A cellular mechanism of muscle memory facilitates mitochondrial remodelling following resistance training.
[5] J Physiol. 2013 15 ;591(24):6221-30. A cellular memory mechanism aids overload hypertrophy in muscle long after an episodic exposure to anabolic steroids.