Certaines espèces vivent très longtemps, d’autres ont une longévité plus fugace. Les pins à cône épineux des Montagnes Rocheuses ont une remarquable longévité de 5000 ans environ, et dans le royaume animal des créatures comme les éléphants, les baleines et les tortues ont des vies comparativement longues. Certains d’entre eux sont même devenus célèbres : Harriet, l’une des tortues des Galápagos que Darwin aurait lui-même collectée en 1835, est morte en 2006 à l’âge incroyable de 175 ans. De l’autre côté du spectre, des créatures comme l’éphémère (d’où son nom) ou les plantes annuelles ne vivent qu’un jour ou un an. La durée de vie des êtres humains modernes peut dépasser les 100 ans. Ce qui nous positionne quelque-part au milieu.
C’est tout le travail de la démographie que de relever ces chiffres et de les mettre en rapport. Les trajectoires de la mortalité et de la fertilité qui établissent respectivement les probabilités de décès et le nombre de descendants mis au monde, avec l’âge.
Pourquoi se détériore-t-on en vieillissant ?
En prenant en considération l’énorme effort nécessaire pour créer un organisme entier à partir de pas grand-chose, il semble étrange qu’il se dégrade ainsi avec le temps ; car après tout, la conservation du corps devrait, en comparaison, être une tâche relativement mineure. Étant donné que la détérioration avec l’âge (chez les humains elle se matérialise par une peau moins élastique, des os qui se fragilisent et des pertes de mémoire) ne confère pas d’avantage aux individus, l’explication de cette dégradation est longtemps restée une énigme pour les biologistes.
Dans les années 1950, 60 et 70, Peter Medawar avec George Williams, Bill Hamilton et Tom Kirkwood, ont tenté d’expliquer pourquoi l’évolution a eu comme conséquence la sénescence – le processus biologique de la vieillesse. Leurs théories, appelées “les théories évolutionnistes de la vieillesse [1]”, se sont focalisées sur l’influence de la sélection sur la durée de la vie.
Ces théories reposent principalement sur le fait qu’après la maturité sexuelle, la puissance de l’évolution – ou les forces de la sélection – décline parce que le nombre de descendants restant qu’un individu est supposé produire avant sa mort décline aussi – même si sa mort éventuelle est entièrement due au hasard et/ou n’a pas de relation avec la détérioration physique.
Les mutations qui résultent d’une augmentation de la reproduction plus tôt dans la vie seront de ce fait favorisées par la sélection même si elles ont un coût, celui de diminuer la longévité. Les théories disent que même les mutations qui ne confèrent pas de bénéfices au début de la vie tendent à s’accumuler, étant donné que la force de la sélection devient trop faible pour les purger de la population. À partir de là, la trajectoire qui résulte de la mortalité devrait afficher une augmentation depuis l’âge de la maturité sexuelle alors que la fertilité devrait diminuer.
Ces théories forment la base de la majorité de la recherche démographique sur la vieillesse, et Hamilton a brillamment remarqué qu’”aucune espèce ne devrait échapper aux forces de la sénescence, même au fin fond d’un étrange univers”.
Mais ces modèles sont-ils vraiment universels ? Pour tester l’universalité de ces prédictions, une équipe de scientifiques du Max Planck Institute pour la recherche démographique et du Centre de Biodémographie de la Vieillesse ont collecté des données pour examiner les trajectoires démographiques d’une large gamme d’organismes.
Les deux principaux types de données des études démographiques sont les tables de mortalité, qui enregistrent les décès selon les âges et les taux de fertilité, et la matrice de projection de la population, qui enregistre les probabilités de transition selon les âges et selon les étapes (par exemple de l’âge juvénile à l’âge adulte, ou du plus petit au plus grand) et la fertilité pour chaque étape ou âge. Les chercheurs ont élaboré ces tables et matrices depuis des décennies.
Les chercheurs ont parcouru la littérature scientifique pour obtenir de telles données sur le plus de groupes taxonomiques possible, tout en s’assurant qu’elles étaient à la hauteur pour ce travail, il leur fallait suivre des individus sur au moins 95% de leur durée de vie mature. La durée de vie mature est définie comme étant l’époque de la vie située entre la maturité et l’âge auquel le taux de survie passe sous les 5%.
Une nouvelle et simple approche a été d’utiliser les trajectoires standardisées de chaque organisme à travers cette période de la vie pour cartographier les formes qui pouvaient être comparées entre les espèces qui ont de grandes différences de longévité, ainsi que des niveaux de mortalité et de fertilité très éloignés.
Défier la théorie
Ce que les chercheurs ont découvert était surprenant [2]. Bien que de nombreuses espèces – tout comme les humains – affichent des trajectoires de mortalité cohérentes avec les théories classiques (baisse de la fertilité, augmentation de la mortalité), ils ont découvert beaucoup de violations de ces règles.
Chez certaines espèces, comme la tortue du désert, la mortalité diminue en fait avec l’âge, tandis que chez d’autres comme le petit organisme d’eau douce l’hydre, elle reste constante. Il y avait seulement autant de diversité dans la fertilité, qui pouvait être représentée par une courbe en cloche (augmentant et puis diminuant avec l’âge), en augmentation, diminution ou stable.
Les formes des trajectoires de la mortalité n’étaient pas fortement associées à la longévité des espèces. En d’autres termes, les espèces avec une vie courte ou longue pouvaient avoir des taux de mortalité en augmentation, en diminution ou constants. Cela est logique si l’on y pense – même avec une mortalité constante, la longévité dépendra largement du niveau absolu de mortalité, et non pas si elle augmente ou diminue.
Les vertébrés comme les êtres humains et les autres mammifères tendent à avoir des taux de décès en augmentation et une fertilité en forme de courbe en cloche, alors que chez les plantes c’est très variable.
Pourquoi cela ? Il y a certaines caractéristiques, comme le plan basique du corps, qui se fixent tôt dans l’histoire de l’évolution et qui font défaut chez d’autres, et ces caractéristiques pourraient empêcher les options évolutionnistes de s’ouvrir à une espèce.
Bien que les théories classiques apparaissent bien fonctionner pour la plupart des mammifères et des oiseaux, les théoriciens auront besoin de les modifier s’ils veulent que leur compréhension théorique de la vieillesse soit universelle. Il leur faudra alors explorer les données pour obtenir une meilleure compréhension expliquant pourquoi certaines espèces ne suivent pas les modèles attendus.
Références :
[1] Fabian, D. & Flatt, T. (2011)The Evolution of Aging. Nature Education Knowledge 3(10):9.
[2] Diversity of ageing across the tree of life. Nature 505, 169–173 (Jan. 2014) doi:10.1038/nature12789.