Un article récent déclare que 25% des utilisateurs de thérapies et produits de santé alternatifs aux États-Unis comptent pour 75% des dépenses dans ce domaine [1]. Cela est en phase avec ce qu’on peut voir en pharmacie. Certains consommateurs dépensent des centaines d’euros par mois en compléments alimentaires, ainsi la croyance que ces produits sont bénéfiques doit être très forte.
Nombreux sont ceux qui attribuent leur état de santé aux compléments alimentaires, et affirment qu’ils leur permettent de prévenir la maladie, optimisent leur santé ou stimulent leur système immunitaire. Et tandis qu’il peut être réconfortant de voir des consommateurs prendre une part active dans la recherche d’une maximisation de leur propre santé, leurs décisions sont assez surprenantes. Dans certains cas, les croyances sur la santé, la médecine ou l’efficacité de leurs suppléments sont dévoyées ou complètement fausses.
Plus étonnant encore, certains consommateurs prennent des produits pour lesquels il n’y a aucune indication médicale du tout, ils sont avalés en “prévention” croit-on, pour éviter une maladie ou infection. Peur de la dégénération maculaires ? Prenez de la lutéine. Inquiet à propos d’Alzheimer ? Munissez-vous de ginkgo biloba. Quelque-soit votre anxiété, il existe un complément alimentaire pour vous sur le marché. L’un des suppléments dont la popularité ne se dément pas est bien le magnésium. Il soignerait le cancer et la dépression. Vous débarrasserait de vos inhalateurs car il traiterait aussi l’asthme. Quelques recherches sur Internet suffiront à vous convaincre que le magnésium est certainement la panacée contre toutes les maladies !
Le magnésium se retrouve partout dans le corps, c’est le quatrième minéral le plus abondant. Il est impliqué dans des centaines de réactions chimiques et de systèmes d’enzymes différents, soutenant des processus tels que la synthèse des protéines, la croissance cellulaire et la production d’énergie. Il a un rôle dans le fonctionnement nerveux, le contrôle musculaire et la tension artérielle. Même la régulation du sucre dans le sang dépend du magnésium. Le corps possède plusieurs mécanismes pour en stabiliser les niveaux. Nous en possédons environ 25 grammes au total, dont la plupart sont dans le squelette. Certaines quantités de magnésium se trouvent à la surface des os et aident (lentement) à en réguler les niveaux dans le reste du corps : seule une très petite fraction du magnésium détenu dans le corps (1%) se retrouve réellement dans le sang.
Nous tirons le magnésium de notre alimentation, avec une “consommation moyenne” de 360 mg par jour. La plupart des aliments contiennent du magnésium [2] bien que certains aliments en aient plus que d’autres. Après ingestion, le magnésium entre dans le sang à travers une combinaison de diffusion et d’absorption actives en différents endroits de l’intestin. Certains de ces effets apparaissent être influencés par la vitamine D. Les reins gèrent la plupart de l’excrétion du magnésium et contrôlent activement la quantité qui est éliminée pour maintenir des niveaux stables. Presque tout le magnésium est d’abord filtré puis ensuite 95% est réabsorbé.
Les médicaments qui inhibent le fonctionnement régulier des reins, comme les diurétiques, peuvent modifier les niveaux de magnésium. Certains diurétiques favorisent l’excrétion du magnésium, tandis que d’autres favorisent sa rétention, cela dépendant de leurs mécanismes d’action. Il y a une longue liste d’autres médicaments qui peuvent influencer les niveaux de magnésium, la plupart en affectant le processus de filtration des reins. Les inhibiteurs de la pompe à proton (par ex. Nexium) sont parmi les plus agressifs, et peuvent causer une hypomagnésémie pour certains [3]. Étant donné ses actions multiples, des niveaux faibles en magnésium sont associés à des maladies comme l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et le diabète. D’autres problèmes médicaux peuvent affecter les niveaux de magnésium, soit par action, absorption ou élimination. L’alcoolisme, des maladies des reins ou du foie, et d’autres troubles de mauvaise absorption gastro-intestinale (par ex. maladie de Crohn) peuvent tous diminuer les niveaux de magnésium.
Est-ce que le magnésium a des effets médicinaux quand il est consommé ? Dans la pratique médicale et pharmaceutique il a plusieurs utilisations démontrées, la plus connue étant probablement comme antiacide ou laxatif. Le bon vieux lait de magnésie fonctionne parce que le magnésium est partiellement absorbé, il en reste assez dans les intestins, en attirant l’eau dans le colon et en ramollissant et délogeant tout ce qui s’y trouve. Le magnésium injectable, vendu en prescription, permet de délivrer de grandes doses rapidement, et est utilisé pour le traitement de la prééclampsie (hypertension provoquée par la grossesse) [4] et l’éclampsie (les crises épileptiques qui en résultent) [5], il est bien toléré et meilleur que les autres médicaments. Le magnésium semble aussi être efficace pour ce qui est de traiter certaines formes d’arythmies [6] [7], tout comme les exacerbations d’asthme [8]. Certains types de migraine semblent aussi réagir aux suppléments de magnésium.
Pour d’autres maladies ou troubles, le rôle du magnésium est moins clair. Les niveaux de magnésium semblent être associés à l’ostéoporose, mais le rôle des compléments alimentaires de magnésium est toujours à démontrer. Les régimes alimentaires riches en magnésium semblent réduire le risque d’attaque [9], mais le fait de prendre des suppléments n’apporte pas les mêmes bénéfices [10]. On peut dire la même chose pour ce qui concerne la tension artérielle [11], les effets des compléments alimentaires de magnésium sont nuls ou très faibles. Pour les traitements de troubles comme l’anxiété, l’hyperactivité, les crampes musculaires et les impatiences (syndrome des jambes sans repos), il faudra plus de données pour pouvoir affirmer que les suppléments sont véritablement utiles.
Dans les cas où des médicaments ou des maladies ont fait chuter les niveaux de magnésium dans le sang, les suppléments sont appropriés. Les suppléments de magnésium traitent et empêchent les carences en magnésium. Il y a un débat sur quel type de supplément serait “le meilleur”, entretenu par un manque cruel d’études ayant vraiment examiné quelle quantité de magnésium est réellement absorbée. Le gluconate et le chlorure de magnésium semblent être préférés [12] à l’oxyde et au sulfate de magnésium [13] qui sont associés à des diarrhées.
Certaines pharmacies fabriquent du glycinate de magnésium, dont on dit qu’il est supérieur [14]. Il y a peu d’information crédible pour guider ses choix, à moins d’être un rat [15]. Étant donné l’influence de l’alimentation et d’autres facteurs, la version précise utilisée pourrait dépendre davantage des préférences individuelles et des effets secondaires. Le magnésium est souvent associé à du calcium dans les gélules, parfois dans des ratios spécifiques (par ex. 3 pour 1). Il n’y a cependant aucun fondement scientifique à ces proportions.
Suppléments ou alimentation ?
Après avoir posé les utilisations du magnésium en tant que médicament, qu’en est-il de la prise de magnésium sous forme de compléments alimentaires en l’absence de carence avérée ? Étant donné le nombre de systèmes et processus contrôlés par le magnésium, prendre des suppléments pourrait avoir des effets biologiques. Cependant, pour ce faire, il faudrait agir contre notre système de régulation qui fonctionne en maintenant nos niveaux relativement constants. Les suppléments de magnésium sont généralement bien tolérés et leur toxicité est rare. Mais nous tombons ici dans le piège logique de la corrélation et de la causalité. Sans données éventuelles provenant d’études contrôlées randomisées, nous ne pouvons pas conclure que les suppléments ont les mêmes effets qu’une modification de l’alimentation. Les bénéfices dans les études semblent être associés à une consommation d’aliments riches en magnésium, et non pas à une prise de suppléments de magnésium [16].
Le magnésium est abondant sur Terre, et aussi abondant dans la nourriture. En général, l’absorption du magnésium provenant de la nourriture est estimée à 50% environ. Malgré sa fréquence dans les aliments, il y a des éléments suggérant que la consommation de magnésium alimentaire peut être insuffisante [17] Les plantes, et en particulier les céréales, ont plus de magnésium que la viande ou les produits laitiers. L’un des principes de base est que le magnésium accompagne habituellement les fibres. L’apport en eau peut aussi contribuer à la consommation de magnésium, surtout dans les régions d’eau calcaire. Il existe des preuves épidémiologiques [18] qui relie la dureté de l’eau aux maladies cardiovasculaires. Alors que les données sont intéressantes, peu d’études ont mesuré sa consommation et l’ont corrélée aux niveaux de magnésium. Étant donné que la plupart de notre consommation de magnésium provient des aliments, le consensus actuel ne confirme pas les niveaux minimum de dureté apportés par les apports de l’eau.
Risques et bénéfices
Aucun tort ni effet secondaire n’ont été observés quand le magnésium est consommé comme ingrédient alimentaire. Les compléments alimentaires, cependant, peuvent causer des effets secondaires, la diarrhée étant le plus fréquent quand les doses dépassent 350 mg. Des niveaux élevés de magnésium, l’hypermagnésémie, est rare mais a déjà été rapportée notamment à cause d’une consommation régulière de suppléments de magnésium chez des gens qui avaient une diminution du fonctionnement des reins. En l’absence de facteurs de risque, et surtout de maladie rénale non diagnostiquée, une supplémentation en magnésium est généralement considérée comme sans danger.
Conclusion
Prendre des suppléments de magnésium a un rôle établi dans le cadre de certaines maladies et conditions médicales, et semble prometteur pour d’autres. Qu’une supplémentation soit exigée en l’absence de maladie pertinente ou carence avérée n’est pas du tout évident.
Alors qu’il est tentant d’extrapoler des relations entre un bas niveau de magnésium et différentes maladies pour en faire un argument pour prendre des suppléments, le fait de faire un amalgame avec les études sur les régimes alimentaires ne peut être ignoré. Comme on a pu le voir avec d’autres études sur les vitamines, les bénéfices à long terme de prendre des suppléments de magnésium n’a pas été démontré.
Étant donné la complexité du rôle du magnésium dans le corps, la meilleure façon de répondre à ces questions sur les bénéfices des suppléments passe par des études scientifiques rigoureuses. Mais au lieu de se bourrer inutilement de pilules, il y a un moyen plus efficace de booster sa consommation de magnésium, en modifiant son alimentation : les légumes verts, les haricots, les céréales complètes, noix et graines sont de bonnes sources de magnésium. Prendre des suppléments ne sera sans doute pas dangereux, mais tout simplement inutile. Et cela pourrait éloigner les gens des véritables changements utiles à opérer dans leur alimentation. Sans carence avérée, ou besoin médical précis, prendre des suppléments de magnésium est sans intérêt.
Références :
[1] The concentration of out-of-pocket expenditures on complementary and alternative medicine in the United States. Altern Ther Health Med. 2012 Sep-Oct ;18(5):36-42.
[2] Le magnésium
[3] FDA Drug Safety Communication : Low magnesium levels can be associated with long-term use of Proton Pump Inhibitor drugs.
[4] Magnesium sulphate and other anticonvulsants for women with pre-eclampsia. Duley L, Gülmezoglu AM, Henderson-Smart DJ, Chou D. Cochrane.
[5] Magnesium sulphate versus diazepam for eclampsia. Duley L, Henderson-Smart DJ, Walker GJA, Chou D. Cochrane.
[6] J Cardiovasc Electrophysiol. 1993 Avr ;4(2):206-10. Drug therapy for torsade de pointes. Banai S, Tzivoni D.
[7] Am J Cardiol. 2007 Jun 15 ;99(12):1726-32. Epub 2007. Meta-analysis of magnesium therapy for the acute management of rapid atrial fibrillation. Onalan O, Crystal E, Daoulah A, Lau C, Crystal A, Lashevsky I.
[8] Magnesium sulfate for treating exacerbations of acute asthma in the emergency department. Cochrane.
[9] stroke Nutr Rev. 1999 Mar ;57(3):84-8. The effects of potassium, magnesium, calcium, and fiber on risk of stroke. Suter PM.
[10] Circulation. 1998 Sep 22 ;98(12):1198-204. Intake of potassium, magnesium, calcium, and fiber and risk of stroke among US men. Ascherio A, Rimm EB, Hernán MA, Giovannucci EL, Kawachi I, Stampfer MJ, Willett WC.
[11] Cochrane Database Syst Rev. 2006 Jul 19 ;(3):CD004640. Magnesium supplementation for the management of essential hypertension in adults. Dickinson HO, Nicolson DJ, Campbell F, Cook JV, Beyer FR, Ford GA, Mason J.
[12] Magnesium bioavailability from magnesium citrate and magnesium oxide. J S Lindberg, M M Zobitz, J R Poindexter, C Y Pak. J Am Coll Nutr, 1990 vol. 9 no. 1 48-55.
[13] Magnes Res. 2001 Dec ;14(4):257-62. Bioavailability of US commercial magnesium preparations. Firoz M, Graber M.
[14] Bioavailability of Magnesium Diglycinate vs Magnesium Oxide in Patients with Ileal Resection. JPEN J Parenter Enteral Nutr, Sept. 1994 vol. 18 no. 5 430-435.
[15] Vestn Ross Akad Med Nauk. 2010 ;(2):29-37. Comparative study of magnesium salts bioavailability in rats fed a magnesium-deficient diet. Spasov AA, Petrov VI, Iezhitsa IN, Kravchenko MS, Kharitonova MV, Ozerov AA.
[16] Arch Intern Med. 2011 Oct 10 ;171(18):1625-33. Dietary supplements and mortality rate in older women : the Iowa Women’s Health Study. Mursu J, Robien K, Harnack LJ, Park K, Jacobs DR Jr.
[17] Dietary Magnesium Intake in a National Sample of U.S. Adults. Earl S. Ford1, Ali H. Mokdad. J. Nutr. September 1, 2003 vol. 133 no. 9 2879-2882.
[18] Eur. J. Cardiovasc. Prev. Rehabil. 2006 ;13(4):495-506. Review of epidemiological studies on drinking water hardness and cardiovascular diseases. Monarca S, Donato F, Zerbini I, Calderon RL, Craun GF.