Les gros muscles sculptés des bodybuilders, de certaines stars de cinéma et des adeptes des salles de musculation, peuvent les faire ressembler à des superhéros de bande dessinée. Nous avons d’ailleurs tendance à associer des gros muscles avec plus de force et de puissance. Mais une recherche a découvert qu’au niveau cellulaire, les gros muscles bien définis des bodybuilders ne réussissent pas si bien contre ceux des athlètes de puissance (comme les haltérophiles, les powerlifters ou les sprinters, sports qui exigent que des forces importantes soient rapidement développées) voire même contre des individus qui ne s’entrainent pas du tout.
Cette recherche, publiée dans Experimental Physiology [1], a été réalisée sur des cellules musculaires individuelles prélevées sur un groupe de volontaires comprenant 12 bodybuilders, six athlètes de force athlétique et 14 sujets de contrôle (des hommes moyens, physiquement actifs mais qui ne s’entrainaient pas avec des poids). Cette recherche dirigée, par Hans Degens de l’Université de Manchester, a stimulé les cellules et a évalué la taille et la rapidité de la force produite à partir des contractions isométriques (qui se contractent tout en gardant la même longueur). En mesurant la taille des cellules musculaires, ils ont été en mesure de calculer la force spécifique, qui est la force produite pour une aire bien précise ou unité de muscle. Plus la force spécifique est importante et plus le muscle est de qualité.
Les auteurs de l’étude ont trouvé que bien que les fibres individuelles des cellules musculaires des bodybuilders étaient considérablement plus grosses que celles du groupe de contrôle, elles avaient aussi une force spécifique plus faible. Cela montre que leurs muscles étaient d’une moins bonne qualité que ceux des groupes de contrôle. Les athlètes de puissance, qui ont aussi recours à des entrainements de musculation, qui portent des poids moins lourds mais plus rapidement, avaient des muscles d’une qualité similaire aux sujets de contrôle, mais ils étaient capables de produire une force plus rapide, ce qui veut dire que leurs muscles étaient plus puissants.
Soupeser les résultats
Bien que les résultats des auteurs soient de bonne qualité, il faut les remettre dans le contexte. Nos fibres musculaires ne fonctionnent pas de manière isolée mais font partie d’un système corporel plus large. Le fait de soulever des poids peut augmenter la taille des muscles mais cela peut aussi améliorer les tissus conjonctifs qui les supportent [2] et les vaisseaux sanguins [3] ainsi que la capacité à mobiliser le système nerveux [4] pour utiliser plus de muscle disponible.
Cela signifie qu’une force spécifique plus faible au niveau microscopique n’est pas nécessairement égale à une mauvaise qualité musculaire ni à un fonctionnement dégradé au niveau de tout le corps. Ainsi, nous ne devrions pas être surpris que les anciens bodybuilders aient été en mesure de dominer les compétitions de force tout en conservant leur volume.
Les physiologistes savent depuis des décennies qu’une relation solide, mais imparfaite et complexe, existe entre la taille d’un muscle et la force qu’il peut produire [5]. Généralement, plus le muscle est gros et plus il peut produire de force. Cependant, certaines études [6] ont noté que des muscles plus gros n’avaient pas d’amélioration équivalente ou proportionnelle de la force spécifique.
Cela signifie que quand le muscle devient plus gros, il n’y a pas d’augmentation équivalente de la qualité musculaire. On pense que cela est dû à des changements dans l’architecture du muscle [7] ou à une dilution des protéines qui font le travail de la contraction musculaire. Des résultats similaires apparaissent quand la taille des muscles est augmentée par l’apport de stéroïdes anabolisants ou de testostérone [8].
La qualité sur la quantité
Il semble qu’il y ait une taille optimale pour un muscle, au-delà de laquelle toute augmentation de la taille ne conduise pas nécessairement aux mêmes améliorations relatives de la force. Cette étude montre que cette relation existe au niveau microscopique, cellulaire des muscles. Cela veut aussi dire que ni la taille des muscles ni une cellule musculaire individuelle ne peut être utilisée pour prédire avec précision sa force. Cependant, les bodybuilders sont habituellement des athlètes extrêmement doués génétiquement qui passent des heures chaque jour à manger et à s’entrainer pour la croissance de leurs muscles. Il est peu probable que l’individu moyen qui va à la salle de gym n’atteigne une taille de fibres musculaires qui conduira à cette dilution de sa force.
La situation est différente pour les athlètes de puissance qui s’entrainent avec des poids plus légers mais de façon tout à fait différente des bodybuilders. Alors que ces derniers s’entrainent pour faire grossir leurs muscles jusqu’à leur potentiel génétique à l’aide de l’alimentation et parfois même de certaines substances, les athlètes de puissance essayent de maximiser leur force à un poids de corps spécifique. Les différences de stratégies d’entrainement, combinées à un besoin constant de maintenir leur poids dans une catégorie donnée, empêchent probablement les athlètes de puissance de faire grossir leurs muscles de la taille de ceux des bodybuilders.
Comme illustration de cette différence de force entre des athlètes dont les objectifs sont différents, entre un athlète qui fait de la force et un bodybuilder, il n’y a qu’à considérer Fred Hatfield qui était capable de soulever 90 kg de plus aux squats qu’un bodybuilder comme Tom Platz, qui avait pourtant des cuisses beaucoup plus volumineuses et plus impressionnantes.
Ces comptes rendus anecdotiques, à côté de la recherche récente, présentent les bodybuilders comme les “tigres de papier” du monde de l’haltérophilie. Ils sont cependant incroyablement forts par rapport aux standards moyens, et ils ont la capacité de devenir des champions de force athlétique. Quand il s’agit de la réponse des muscles aux poids des haltères, la taille peut ne pas faire tout, mais elle n’est pas un mauvais guide.
Références :
[1] Single muscle fibre contractile properties differ between bodybuilders, power athletes and controls. Experimental Physiology.
[2] Role of Extracellular Matrix in Adaptation of Tendon and Skeletal Muscle to Mechanical Loading. Michael Kjaer. ,Physiological Reviews.
[3] J Physiol. 2015. The effect of different training modes on skeletal muscle microvascular density and endothelial enzymes controlling NO availability. Cocks M, Wagenmakers AJ.
[4] Am J Phys Med. 1979 ;58(3):115-30. Neural factors versus hypertrophy in the time course of muscle strength gain. Moritani T, deVries HA.
[5] Sports Med. 2008 ;38(12):987-94. Cross-sectional area and muscular strength : a brief review. Jones EJ, Bishop PA, Woods AK, Green JM.
[6] Br J Sports Med. 1984 Sep ; 18(3) : 149–157. Muscle strength and cross-sectional area in man : a comparison of strength-trained and untrained subjects.
[7] Eur J Appl Physiol Occup Physiol. 1982 ;48(1):117-26. Muscle ultrastructural characteristics of elite powerlifters and bodybuilders. MacDougall JD, Sale DG, Elder GC, Sutton JR.
[8] Testosterone dose-response relationships in healthy young men. American Journal of Physiology – Endocrinology and Metabolism, 2001, Vol. 281 no. 6, E1172-E1181.