Les physiologistes ont trouvé des capteurs de la température dans l’estomac.
Il y a quelques années de cela, une étude de l’Université d’Ottawa a été publiée sur la façon dont la température des boissons que nous consommons pouvait modifier le taux de transpiration. Qui ne connait pas ces histoires d’Indiens qui boivent du thé brûlant pendant les mois les plus chauds de l’année ? Il s’avère que ces histoires ne seraient pas que des légendes urbaines : car quand on prend des mesures rigoureuses grâce à une thermométrie moderne et une mesure fiable de la transpiration, on trouve que les boissons chaudes déclenchent réellement un niveau de transpiration qui compense plus que la chaleur apportée par la boisson chaude.
On ne savait toujours pas exactement comment ni pourquoi cela se produisait. Le même groupe de chercheurs, dirigé par Ollie Jay, a publié un nouvel article sur le sujet dans le Journal of Applied Physiology [1] qui a minutieusement étudié ce qui déclenchait précisément ces changements dans la transpiration. Ils ont réalisé deux expériences séparées ; dans la première, les sujets faisaient du vélo à un rythme modéré pendant 75 minutes tout en buvant un liquide à trois températures différentes : 1,5°C (froid), 37°C (température du corps) et à 50°C (chaud). Ils ont bu une petite dose de 3,2 ml par kg de poids de corps avant et à trois moments pendant leur exercice. Entre temps, leur température été prise en différents endroits du corps (peau, rectum et canal auriculaire), ainsi que leur taux de transpiration local sur le front, sur le haut du dos et sur les avant-bras.
Voici comment les taux de transpiration (affichés sur l’axe vertical, qui est une moyenne des trois régions du corps) ont réagi. L’axe horizontal est le temps, avec 0 indiquant le début de l’exercice :
Il est manifestement clair que la boisson chaude a provoqué une augmentation de la transpiration, et que la boisson froide a provoqué une diminution de la transpiration. Pourtant, les mesures de la température sur les trois régions du corps étaient identiques entre les études, ainsi le taux de transpiration changeait alors que les boissons ne causaient pas de modifications mesurables de la température corporelle.
La seconde expérience est même plus rafraîchissante ! Le protocole était le même, excepté qu’il n’y avait que deux températures différentes des boissons (1,5°C et 50°C) – et au lieu de les avaler, les sujets devaient soit se rincer la bouche avec pendant 15 secondes puis la recracher, soit ils la recevaient directement dans leur estomac via un tube nasogastrique ! L’objectif était de savoir si les capteurs de température qui réagissaient à la température des boissons étaient localisés dans la bouche ou dans l’estomac. Une fois encore, les résultats étaient clairs : le fait de se rincer la bouche avec la boisson ne provoquait pas de changements du taux de transpiration, alors que le fait de la délivrer directement dans l’estomac causait une suppression (pour la boisson froide) ou une élévation (pour la boisson chaude) du taux de transpiration.
Cette expérience est surtout intéressante parce qu’elle nous montre comment le corps humain fonctionne, et parce que les scientifiques ont découvert de nouveaux thermorécepteurs situés probablement dans l’estomac. Peut-on tirer une leçon pratique de tout ceci ? L’un des éléments clé à retenir est que la transpiration est une épée à double-tranchant : elle permet de vous rafraîchir, mais aussi de vous déshydrater. À des niveaux relativement faibles de production de chaleur, plus de transpiration est généralement une bonne chose parce que cela permet de l’évaporer instantanément et de vous garder au frais. À des niveaux de production de chaleur élevés, comme pendant un entrainement intense ou quand il fait chaud et lourd, vous transpirez déjà tellement que vous êtes au maximum de vos capacités de transpiration, et vous ne faites que goutter la transpiration en excès sur le sol plutôt que de l’évaporer, ce qui n’apporte rien de plus.
Comme les auteurs de l’étude le font remarquer, le fait de boire des boissons plus froides quand vous avez très chaud et que vous transpirez déjà beaucoup devrait réduire votre taux de transpiration sans compromettre votre pouvoir rafraichissant. Dans les conditions relativement modérées de l’étude (pièce à 23,7°C, 32 % d’humidité), les sujets ont transpiré environ 100 ml de moins quand ils ont bu la boisson froide par rapport à la boisson à température du corps, sans différence de température du corps. Dans des conditions plus chaudes et plus humides, les économies pourraient être considérablement plus importantes. Comme pour l’utilité du thé brûlant qu’on sirote, cela est utile si vous êtes assis à l’ombre sous un arbre pendant que vous regardez un match (et que vous ne gouttez déjà pas de transpiration), mais sera inutile pendant que vous courez un marathon dans des conditions de chaleur éprouvantes.
Enfin, les boissons dans cette étude ont été prudemment choisies pour ne pas provoquer de changement trop important de la température du corps (petites quantités, différence de température relativement modeste). Mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de modifier la température corporelle en suçant de la glace par exemple. Les chercheurs citent d’ailleurs une vieille étude des années 1970 dans laquelle les sujets avaient reçu soit de la crème glacée soit du pudding chaud. Dans ces cas, le pudding chaud fournissait une charge de chaleur qui était sept fois plus importante que la boisson chaude, et la crème glacée causait un déficit de chaleur cinq fois plus important que la boisson froide. En conséquence, les sujets ont en effet vu des changements de leur taux de transpiration, mais ils ont aussi perçu des changements de leur température corporelle, ce qui a rendu impossible toute conclusion sur ce qui avait causé les modifications de leur transpiration.
Références :
[1] Evidence that transient changes in sudomotor output with cold and warm fluid ingestion are independently modulated by abdominal, but not oral thermoreceptors. Morris NB, Bain AR, Cramer MN, Jay O. J Appl Physiol (1985). 2014 ;116(8):1088-95. doi : 10.1152/japplphysiol.01059.2013.