Si vous voulez mesurer la portée et la vivacité persistante du mythe de l’acide lactique, approchez votre coach, entraineur et/ou partenaire sportif et dites-lui “je sens vachement l’acide lactique dans mes jambes à cause de l’entrainement d’hier !” et écoutez leur réaction. C’est un mythe sportif qui refuse de mourir, malgré des décennies de recherches qui ont montré que l’acide lactique (ou pour être plus précis, le lactate) constitue plus une aide qu’un obstacle pendant l’exercice physique. Un physiologiste, Matthew Goodwin, a publié un article intéressant et détaillé sur cette erreur de compréhension sur le lactate. C’est un peu technique (et en anglais) mais complet si l’on veut comprendre ce que le lactate fait et ce qu’il ne fait pas.
Il y a cependant deux points essentiels à retenir.
Premièrement, l’acide lactique n’est pas la cause des courbatures musculaires. Il n’y a aucune connexion connue entre la molécule de lactate et le processus qui cause les courbatures, et encore moins avec le type d’exercice qui cause le plus de courbatures (c’est-à-dire les contractions musculaires excentriques, comme en descendant une pente en marchant ou en courant, ou le mouvement vers le bas quand on lève un poids lourd) qui ne produisent en fait pas plus de lactate.
Cela signifie que s’échauffer le bas pour “évacuer le lactate des jambes” ne veut rien dire. Goodwin montre les données intéressantes d’un modèle typique des niveaux de lactate après un exercice physique épuisant : un pic dramatique qui revient à la normale dans l’heure qui suit l’arrêt de l’exercice. Si vous ajoutez un échauffement du bas, vous pouvez légèrement accélérer ce taux de dégagement, mais de toute façon, toutes les traces de lactate disparaîtront en quelques heures, et encore plus un jour ou deux après, quand les courbatures se font pourtant le plus sentir.
L’autre point important concerne plus la sémantique. Quel est le seuil de lactate ? L’explication rapide habituelle est que quand vous vous entrainez si dur que vous ne pouvez pas avoir assez d’oxygène dans vos muscles pour qu’ils puissent être alimentés, vous commencez à activer les processus anaérobiques (qui produisent beaucoup de lactate) à la place. Ainsi, au-delà d’un certain niveau d’effort – votre seuil – les niveaux de lactate dans votre sang augmentent exponentiellement.
Mais blâmer le seuil de lactate sur une insuffisance d’oxygène c’est faire une confusion entre une corrélation et une causalité. La différence entre les sources d’énergie aérobiques et anaérobiques n’est pas seulement la présence ou l’absence d’oxygène, cela concerne aussi la rapidité avec laquelle l’énergie peut être rendue disponible. L’énergie aérobique est lente, ainsi, quand vous vous entrainez suffisamment dur, vous devez compter sur l’énergie anaérobique (et productrice de lactate). Ce serait vrai seulement si vos cellules musculaires avaient un approvisionnement infini en oxygène ! Ainsi, le seuil de lactate signale la transition vers les sources d’énergie anaérobiques, mais pas nécessairement à cause d’un manque d’oxygène.
Il y a deux autres facteurs qui contribuent à l’augmentation rapide de lactate dans des intensités élevées. L’un est que l’exercice physique “difficile” recrute plus de fibres à contraction rapide, qui produisent plus de lactate. L’autre est que vous produisez plus d’adrénaline pendant des efforts de forte intensité, ce qui contracte les tissus qui vont vers le foie, d’où le lactate est retiré du sang.
Conclusion : l’image actuelle de ce qui se passe dans notre corps pendant un exercice physique intense est un peu plus compliqué que ce qu’en disent la plupart des gens. Est-ce que cela a de l’importance ? Dans la plupart des cas, probablement pas. Les athlètes passent beaucoup de temps à s’entrainer à dans le seuil de lactate parce que ça marche, quelque-soit la théorie sous-jacente. En espérant cependant qu’un jour le langage utilisé par les sportifs et leurs entraineurs reflétera mieux la réalité.