Lors des championnats du monde de poker à Las Vegas, les compétiteurs vont tout faire pour afficher un visage impassible. Mais pourquoi est-il toujours aussi difficile de reconnaitre la tromperie – que ce soit à une table de poker ou ailleurs – même quand l’expérience passée nous permet de déduire tant de signaux qui semblent évidents ?
La plupart d’entre nous sommes des menteurs compétents. Nous mentons tous, probablement tous les jours [1], sur un sujet ou sur un autre. Rien que le fait de répondre à la question “comment ça va ?” par une réponse moins franche. Nous comprenons le concept du mensonge avant même l’âge de quatre ans [2] : Charles Darwin rapportait que son fils, quelques mois avant son troisième anniversaire, essayait de mentir et il existe des données qui montrent que ce comportement peut se manifester dès l’âge de deux ans [3].
Et de la même manière que tout le monde n’hésite pas à mentir, tout le monde voudrait savoir comment pouvoir déceler quand quelqu’un ment. Il semble au premier abord que ce pourrait être facile – il y a des “signaux” : transpiration, mouvements oculaires, micro-expressions, changement de la posture du corps et même modification du type de langage, qui pourraient nous permettre de reconnaitre un mensonge.
Ces signaux sont une espèce de détecteur naturel du mensonge. Tout comme les tests mécaniques du détecteur de mensonges, ils reposent sur un ensemble de changements physiologiques qui apparaissent quand nous mentons. Le fait de dire un gros mensonge, et même un plus petit, exige un effort cognitif et émotionnel. Mentir active notre système nerveux autonome, et plus le mensonge est vénal, plus l’intérêt et la portée sont importants, plus le système nerveux autonome s’active.
Pourquoi est-il si difficile de détecter un mensonge ?
Premièrement, il y a du “bruit” dans le système de détection du mensonge, car il y a de nombreuses choses qui activent le système nerveux autonome. La nervosité est un bon exemple. Les gens deviennent souvent nerveux quand ils sont interrogés à propos de n’importe quoi, quand ils rencontrent une personne qui leur plait pour la première fois (qui est d’ailleurs l’une des circonstances dans laquelle nous sommes le plus susceptible de mentir) ; quand l’enjeu est important c’est-à-dire quand cela dépend beaucoup de ce qu’ils font ou de la façon dont ils vont le faire ; quand il y a une confrontation, i.e. un délai, de grandes attentes…
Quand nous sommes nerveux nous transpirons plus. Nous transpirons d’une manière différente et sentons différemment [4]. Nous gigotons et nos poils se dressent. Nous évitons aussi de regarder l’interlocuteur droit dans les yeux. Nous modifions notre manière de parler, et sans nous en rendre compte le ton de la voix change.
Ces changements surviennent aussi quand nous mentons. Ainsi, c’est un mythe de dire qu’il existe un ensemble unique et fiable de signaux qui indiquent quand quelqu’un ment. Certains signaux comportementaux sont certainement corrélés avec le mensonge, mais la plupart de ceux-ci sont aussi corrélés avec d’autres comportements.
Deuxièmement, il y a le cout du faux positif du détecteur de mensonges. Socialement parlant, c’est un test qui a un enjeu élevé : la peur de l’embarras et les dégâts provoqués par une accusation infondée de mensonge, associé à la charge de la preuve, est un élément de plus contre des poursuites illégitimes.
Cependant, peut-être que le plus surprenant est que nous portons en général moins d’intérêt à discerner la vérité que ce qu’on croit. Nous sommes très souvent enclins à accepter comme vrais des mensonges qui apaisent les interactions sociales. De même que les mensonges qui sont en accord avec notre vision du monde ou, et surtout, avec l’image que nous avons de nous-même, seront moins souvent rejetés. En d’autres termes, nous sommes effectivement très bons pour ce qui est de ne pas reconnaitre les mensonges.
Je mens donc je pense
Bien entendu, les petits mensonges sans conséquence que nous faisons pour garder le flux d’une conversation ou pour faire un compliment (ou au moins éviter d’offenser l’interlocuteur !) à notre ami/partenaire/patron sont peu intéressants. Les plus juteux sont les tromperies vénales qui, quand elles sont détectées, réduisent à néant la confiance et changent des vies. Tous les mensonges, qu’ils soient gros ou petits, sont des duperies tactiques.
Les tromperies tactiques exigent du menteur qu’il manipule activement l’information pour tromper quelqu’un d’autre. Elles sont intéressantes parce que la création d’une telle duperie a été interprétée comme une preuve que le menteur a développé une théorie de l’esprit – je mens donc je pense. Mais il est vrai que les implications sont larges, car des singes ont été observés lors de tactiques de tromperie [5]. La même chose est vraie pour les autres grands singes, et même les corbeaux [6].
Mark Twain disait qu’”il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques.” Néanmoins, le fait de savoir qui ment et de connaitre la fréquence des mensonges sont des questions toujours ouvertes en sciences du comportement.
Nous savons que presque tout le monde ment. Les femmes et les hommes mentent en moyenne autant, mais à propos de différentes choses [7]. Il existe des éléments de preuve que les hommes sont meilleurs menteurs que les femmes [8]. Sans doute que les estimations sur la fréquence des mensonges diffèrent grandement. Ceci vient en partie du fait que le contexte est important. Après tout, l’acte de mentir est une espèce de lien social et les gens mentent aussi lors des enquêtes.
Ainsi, la prochaine fois que vous tirerez une chaise au casino ou que vous vous mettrez à une table de poker, souvenez-vous que tandis que vous pourriez trouver difficile de dire si vos adversaires mentent, ils trouveront probablement aussi difficile de lire en vous.
Références :
[1] The Prevalence of Lying in America : Three Studies of Self‐Reported Lies. Kim B. Serota, Timothy R. Levine, Franklin J. Boster. Human Communication Research, Vol. 36, Iss. 1, 2010 pp 2–25.
[2] When all signs point to you : Lies told in the face of evidence. Evans, Angela D. ; Xu, Fen ; Lee, Kang. Developmental Psychology, Vol 47(1), Jan 2011, 39-49.
[3] The Nature and Effects of Young Children’s Lies. Anne E. Wilson, Melissa D. Smith Hildy S. Ross. Social Development, Volume 12, Issue 1, pp 21–45, 2003.
[4] Sweating and body odor. Mayo Clinic. http://www.mayoclinic.org/diseases-…
[5] Proc Biol Sci. Aug 22, 2004 ; 271(1549) : 1693–1699. Neocortex size predicts deception rate in primates. Richard W. Byrne, Nadia Corp.
[6] Observational learning and the raiding of food caches in ravens, Corvus corax : is it ‘tactical’ deception ? Thomas Bugnyarf, Kurt Kotrschal. Animal Behaviour, Volume 64, Issue 2, 2002, Pages 185–195.
[7] Self-Presentation and Verbal Deception : Do Self-Presenters Lie More ? Basic and Applied Social Psychology. Volume 24, Issue 2, 2002.
[8] J Pers Soc Psychol. 1985 May ;48(5):1191-203. Telling ingratiating lies : effects of target sex and target attractiveness on verbal and nonverbal deceptive success. DePaulo BM, Stone JI, Lassiter GD.