Dans une étude qui a remis en question la notion longtemps tenue pour vraie selon laquelle la fonction principale du sommeil était de reposer le cerveau, des chercheurs ont trouvé que le fait de ne pas assez dormir avait un impact délétère sur les cellules de graisse, en réduisant de 30% leur aptitude à réagir à l’insuline, hormone qui régule l’énergie.

La privation de sommeil est depuis longtemps associée à un fonctionnement dégradé du cerveau, en causant une diminution de la vigilance et des capacités cognitives. Les derniers résultats publiés dans les Annals of Internal Medicine [1] décrivent les mécanismes moléculaires qui connectent directement le manque de sommeil à la rupture de régulation de l’énergie chez les êtres humains, un processus qui, avec le temps, peut provoquer une prise de poids, du diabète et d’autres problèmes de santé. L’étude montre que le rôle du sommeil dans le métabolisme de l’énergie est au moins aussi important que dans le fonctionnement du cerveau.

“Nous avons découvert que les adipocytes avaient besoin de se reposer pour fonctionner correctement” dit l’auteur de l’étude, le Dr Matthew Brady. Il ajoute que la graisse du corps joue un rôle important chez les êtres humains.

“De nombreuses personnes pensent que la graisse est un problème, mais elle a une fonction vitale” dit-il. “La graisse corporelle, aussi connue sous le nom de tissu adipeux, stocke et libère de l’énergie. En mode stockage, les cellules de graisse retirent les acides gras et les lipides de la circulation où ils peuvent endommager d’autres tissus. Quand les cellules graisseuses ne peuvent pas réagir efficacement à l’insuline, ces lipides sont exfiltrés dans la circulation, ce qui provoque de sérieuses complications”.

Les chercheurs ont recruté six hommes et une femme, tous jeunes, minces et en bonne santé. Chaque volontaire a dû se plier à deux conditions de l’étude, chacune séparée par au moins quatre semaines. Dans l’une d’elles, ils ont passé 8 heures et demie par nuit au lit pendant quatre nuits consécutives. Dans l’autre, ils ont passé 4 heures et demie au lit pendant quatre nuits. La consommation de nourriture, strictement contrôlée, était identique dans les deux conditions.

Au matin après la quatrième nuit qui suivait soit les conditions de la nuit longue soit celles de la nuit courte, chaque volontaire est passé par un test de tolérance au glucose par intraveineuse, qui mesurait la sensibilité du corps à l’insuline. Les chercheurs ont réalisé une biopsie, en retirant des adipocytes abdominales de la région proche du nombril de chaque volontaire. Puis, ils ont mesuré comment ces cellules de graisse réagissaient à l’insuline.

Les chercheurs ont évalué la sensibilité à l’insuline au niveau moléculaire en mesurant la phosphorylation d’une protéine (Akt) à l’intérieur des adipocytes. La phosphorylation de l’Akt est une étape chimique cruciale de la réponse cellulaire à l’insuline.

Après quatre nuits de sommeil écourté, la réaction à l’insuline du corps a diminué en moyenne de 16%. La sensibilité à l’insuline des cellules de graisse a diminué de 30%. Cette réduction est comparable à la différence entre les cellules des obèses contre celles des participants sveltes, ou entre les gens frappés de diabète contre les non-diabétiques.

Ils ont trouvé que les participants de l’étude qui ont été privés de sommeil ont vécu une réduction de la réponse dans une large gamme de doses d’insuline. Cela a pris presque trois fois plus de temps à l’insuline pour provoquer la moitié de la réaction chez les volontaires qui avaient été privés de sommeil. “Dormir quatre à cinq heures par nuit, au moins les jours travaillés, est un comportement fréquent” dit l’auteur de l’étude Esra Tasali.

“Certaines personnes déclarent qu’elles peuvent supporter les effets cognitifs d’une privation régulière de sommeil” dit Eve Van Cauter, co-auteure de l’étude. “Dans cette petite étude, néanmoins approfondie, nous avons découvert que sept sujets sur sept avaient vécu une modification importante de leur sensibilité à l’insuline. Ils n’en supportent donc pas les conséquences métaboliques”.

Les chercheurs se sont précisément concentrés sur les cellules de graisse à cause de leurs liens directs avec la rupture métabolique et la prise de poids. Ces cellules stockent de l’énergie pour le corps, sont magnifiquement sensibles à l’insuline et aident à réguler l’appétit.

Le fait d’être témoins de l’effet direct d’une privation de sommeil sur les tissus périphériques comme la graisse au niveau cellulaire “c’était comme nous ouvrir les yeux” dit Broussard. Cela permet de cimenter le lien entre le sommeil et le diabète, et “suggère que nous pourrions utiliser le sommeil avec l’alimentation et l’exercice physique pour prévenir ou traiter cette maladie “.

“Quel signal du manque de sommeil affecte les cellules du tissu adipeux ? Quel effet la graisse dysfonctionnelle a-t-elle au niveau de tout le corps ?” se demandent les scientifiques. “Et si nous pouvons priver de sommeil les gens en bonne santé pour les rendre malades, pouvons-nous a contrario prendre des gens malades, comme ceux qui ont des apnées du sommeil, de l’obésité et du diabète, et améliorer leur sommeil pour les aider à aller mieux ? C’est le lien manquant de la connexion sommeil-obésité-diabète”.

Cette étude est une contribution de valeur pour une meilleure compréhension des chemins par lesquels une diminution du sommeil pourrait directement contribuer au diabète et à l’obésité. Mais ces résultats pointent en direction d’une plus large influence du sommeil sur le fonctionnement de tout le corps, comprenant le métabolisme, le tissu adipeux, le fonctionnement cardiovasculaire et peut-être plus encore.

Références :

[1] Impaired Insulin Signaling in Human Adipocyes. Annals of Internal Medicine.

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