Il y a quatre ans pendant les Jeux Olympiques de 2012, un certain nombre d’athlètes portait des bandes colorées de différentes formes collées sur certaines parties de leur corps. Ces bandes, qu’ils appelaient des “kinésiotapes”, étaient utilisées pour améliorer la performance, réduire les blessures et aider les muscles à récupérer plus rapidement. Cette mode, comme celle des “bracelets équilibre” (Powerbalance), n’a pas duré étant donné son absence d’efficacité et sa totale inutilité.

L’année 2016, pendant les Jeux Olympiques, a vu apparaitre des athlètes, notamment les nageurs (car c’est évidemment chez eux que c’était le plus visible), avec des marques circulaires rouges sur leur corps, sur le dos, les épaules et parfois ailleurs. Ces marques sont les signes révélateurs de l’utilisation de ventouses, qui est un traitement pseudoscientifique qui vient tout droit de la médecine traditionnelle chinoise et de l’époque préscientifique où la médecine n’existait pas encore.

La pseudoscience dans le sport

Ce que ces kinésiotapes et les ventouses ont en commun, autre que l’absence de preuve de leur efficacité, est qu’ils sont immédiatement visibles pour l’observateur (comme l’étaient les bracelets “hologrammes” à leur époque). Ce qui montre que seule une petite partie de l’iceberg de la pseudoscience dans le sport est visible. Le reste des innombrables traitements sans aucune valeur utilisés par les sportifs ne laissent pas de marques visibles sur leur corps ou peau.

Les sports de compétition représentent un terrain fertile pour la pseudoscience. Les athlètes cherchent toujours quelque-chose qui puisse leur apporter le plus petit élément ou avantage leur permettant d’aller plus loin, plus haut ou plus vite – et qui ne soit pas du dopage. Même la croyance en ces petites choses peut apporter un faible bénéfice ne serait-ce que grâce à l’effet placébo qu’elle procure. Les entraineurs se moquent de savoir si l’effet est entièrement psychologique tant que la performance est là et la victoire à la clé.

C’est la même psychologie qui a permis aux superstitions d’envahir les sports. Rien ne permet d’expliquer pourquoi il vaut mieux porter les mêmes chaussettes lors de chaque rencontre ou épreuve, ou d’embrasser son collier de la vierge en entrant sur le terrain, et cela n’est pas très différent des mécanismes proposés sur le fonctionnement de certains objets visibles utilisés par des sportifs de haut niveau.

La vulnérabilité des athlètes aux superstitions et aux effets d’autosuggestion a eu pour conséquence l’émergence d’une véritable industrie sportive des attrape-nigauds et autres remèdes charlatanesques. Cette industrie cible d’abord les athlètes professionnels ou de haut niveau, puis elle les utilise afin de “valider” leurs produits pour que le sportif amateur les achète en pensant qu’un sportif de haut niveau ne peut pas se tromper.

C’est ce qui s’est passé notamment avec le nageur Michael Phelps pendant les JO de 2016 qui arborait des marques circulaires rouges sur son corps : il était un véritable panneau publicitaire ambulant pour les ventouses !

Les ventouses

Comme beaucoup de traitements alternatifs antiques, les ventouses ont vu le jour comme thérapie reposant essentiellement sur la superstition, qui faisait partie de la culture préscientifique et ne possédait pas encore de visibilité sur les mécanismes physiologiques de la santé et de la maladie.

Les ventouses sont une forme de saignée. De nos jours on appelle cela la “ventouse humide” pour la distinguer des “ventouses sèches” qui ne causent pas de saignement. Le traitement implique de placer une coupe de verre contre la peau puis de générer du vide dans la coupe afin d’aspirer le sang vers la peau. Cela était traditionnellement réalisé en brulant de l’encens au-dessus de la coupe pour réchauffer l’air à l’intérieur.

Dans la procédure de ventouse humide, le praticien perce la peau pour faire couler le sang. L’objectif de cela serait de “retirer le sang stagnant, d’expulser la chaleur, de traiter la fièvre, la perte de conscience, les convulsions et la douleur.” Si l’on remonte un peu plus haut dans le temps, cette pratique avait pour but de purger le “chi”, mot associé au sang ou à l’énergie dans le sang. Les ventouses n’étaient pas autre chose qu’une saignée Chinoise antique.

Les ventouses comme forme de saignée sont toujours utilisées de nos jours, comme les ventouses humides, aussi appelées “hijama” en Arabe. Comme de nombreuses formes de traitements antiques, les praticiens modernes utilisent des techniques similaires mais ils ont seulement modifié leurs déclarations sur le procédé pour que cela semble plus acceptable aux oreilles modernes.

L’une de ces manifestations se trouve dans les affirmations sur ce que les ventouses traitent. Les affections ciblées tendent à graviter autour de symptômes plutôt subjectifs comme les maux de dos, les douleurs musculaires, les douleurs articulaires, la fatigue et les migraines. C’est un signe clair que les affirmations faites autour de ces traitements sont davantage dirigées par les forces commerciales du marché plutôt que par leur efficacité, leur plausibilité, par la recherche ou la science.

Une autre de ces manifestations se matérialise par les mécanismes supposés justifier le traitement. Ces derniers tendent à suivre les récits populaires du jour, toujours dirigés par les forces du marché plutôt que par la science. Il y a plusieurs siècles de cela, les ventouses libéraient le chi, de nos jours elles sont utilisées pour expurger des toxines inconnues, augmenter le flux sanguin ou bien activer le système immunitaire. Il n’y a malheureusement pas de preuves scientifiques qui aient démontré qu’elles font l’une ou l’autre de ces choses. Ce ne sont que des justifications opportunes.

La recherche sur les ventouses

Nous vivons dans un monde où aucune déclaration médicale n’est trop absurde pour ne pas être testée scientifiquement par quelqu’un. Il existe donc de la recherche scientifique sur les ventouses, aussi étonnant (et peu utile) que cela puisse paraitre. Les études publiées sur les ventouses sont exactement ce à quoi on peut s’attendre dans ce domaine. Une revue systématique publiée par Edzard Ernst a conclu [1] :

“En conclusion, cette vue d’ensemble des études passées en revue montre que les ventouses pourraient être efficaces pour diminuer la douleur. Les preuves sont pourtant insuffisantes pour d’autres indications. Toutes les études reposent sur des méthodologies qui ont un risque élevé de biais. Ainsi, il demeure une forte incertitude sur la valeur thérapeutique des ventouses.”

Cette revue et les études sous-jacentes, sont cohérentes avec le modèle typique de la recherche biaisée sur un traitement qui ne marche pas. Nous y trouvons beaucoup de petites études, sur un faible échantillon, de mauvaise qualité scientifique, le type même d’étude qui produit des faux positifs. Les études de meilleure qualité tendent à être négatives. Il pourrait y avoir un reste d’études positives sur des symptômes subjectifs car ceux-ci sont les plus difficiles à isoler et à contrôler.

En outre, les résultats positifs tendent à se regrouper à l’intérieur de groupes de recherche qui ont des défauts. L’auteur de l’étude ci-dessus fait remarquer que les études et les revues positives sur les ventouses viennent de Chine. Il y a une bonne raison de suspecter l’existence de biais manifestes dans de telles études, et les revues précédentes ont montré que 100% des études sur l’acupuncture publiées en Chine étaient positives ! Des résultats aussi uniformément positifs sont statistiquement impossibles sans défaut systématique.

D’autres revues systématiques, qui incluent celles de chercheurs favorables publiées dans des journaux acquis aux thérapies alternatives, sont tout aussi peu convaincantes. Par exemple, une revue de 2013 [2] sur les ventouses contre les maux de dos comprend une seule étude randomisée et contrôlée qui montre que dans l’étude randomisée et contrôlée le taux de réussite du groupe avec les ventouses humides était identique à celui du groupe de contrôle.

Ils ont cependant inclus des études non randomisées et non contrôlées dans leur échantillon car, disent-ils : “bien que les études randomisées contrôlées représentent la meilleure qualité de recherche existante, nous avons inclus des études qui ne respectaient pas ces standards à cause du nombre limité d’études randomisées et contrôlées qui apportaient des éléments de preuve convaincants.”

La conclusion à retenir de tout cela est que la recherche sur les ventouses et leur application sur le corps est principalement négative, de mauvaise qualité avec beaucoup de défauts. Il n’existe pas à ce jour de preuve convaincante d’un effet physiologique réel provenant des ventouses. Les partisans et les praticiens de la pratique pourraient répondre que leur thérapie est au moins sans danger et ne fait pas de mal, ce dont on ne peut être certain si personne ne rapporte les effets secondaires. Par exemple un patient a rapporté l’apparition de psoriasis suite à l’application de ventouses, les lésions psoriasiques sont apparues sous une forme (rare) circulaire, ce qui a attiré l’attention des dermatologues.

Les effets secondaires les plus fréquemment rapportés comprennent des contusions, des brûlures et des infections de la peau. Les ventouses humides agressives peuvent aussi causer de l’anémie. Les effets secondaires semblent être mineurs, mais sans effet démontré d’un bénéfice plausible et réel, tout effet secondaire ne vaut pas la peine d’être supporté, y compris la gêne, le cout et les effets cosmétiques négatifs sur la peau (traces rouges).

Les ventouses c’est la loose !

La thérapie par les ventouses n’est pas si différente de l’acupuncture, des saignées, de la phrénologie ni d’autres pseudosciences médicales. Ce traitement repose sur des superstitions préscientifiques, et a été remise au gout du jour pour être vendue plus efficacement aux clients modernes. Ce n’est qu’une pratique alternative comme une autre, qui manque de plausibilité, de preuves de son efficacité et qui est proposée pour tout un ensemble de symptômes subjectifs et sa collection de justifications qui brassent du vent.

Il est malheureux que des athlètes de haut niveau tombent dans le panneau, mais ils ne sont pas plus immunisés ni moins crédules que le reste de la population. La superstition fait partie du monde du sport depuis des années, et ce n’est sans doute pas près de s’arrêter.

Références :

[1] Is Cupping an Effective Treatment ? An Overview of Systematic Reviews. Myeong Soo Lee, Jong-In Kim, Edzard Ernst. J Acupunct Meridian Stud 2011 ;4(1):1−4.

[2] Effectiveness of cupping therapy for low back pain : a systematic review. Acupunct Med 2013 ;31:336-337.

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