La première et complète étude sur la cigarette électronique montre que les déclarations de l’industrie de l’e-cigarette à propos de la santé ne sont pas confirmées par les données. Leur analyse est constituée d’une grande évaluation de la recherche publiée sur ce phénomène relativement nouveau.
Dans une importante analyse scientifique de la recherche sur la cigarette électronique [1], des scientifiques de l’Université de San Francisco ont trouvé que les déclarations sur ces produits ne sont pas confirmées par les faits à ce jour, et notamment leurs affirmations selon lesquelles l’e-cigarette aiderait les fumeurs à arrêter de fumer.
Ces produits, qui ont rapidement pris de l’ampleur dans la culture populaire et notamment chez les jeunes, sont commercialisés avec l’argument selon lesquels ils seraient des alternatives saines face au tabac, comme un outil efficace pour arrêter de fumer et comme un moyen de passer outre les lois anti-tabac dans les lieux publics en autorisant les “vapoteurs” à fumer partout. Souvent, les publicités insistent sur le fait que les e-cigarettes ne produiraient que de la “vapeur d’eau sans danger”.
Mais dans leur analyse du marketing de l’e-cigarette, de la santé et des effets comportementaux de ces produits qui ne sont pas règlementés, les scientifiques de l’UCSF ont trouvé que l’utilisation de la cigarette électronique était associée à des probabilités beaucoup plus faibles d’arrêter de fumer. Ils ont aussi découvert que tandis que les données sont toujours limitées, les émissions des e-cigarettes ne sont pas “seulement constituées de ’vapeur d’eau sans danger’, comme cela est fréquemment avancé, et qu’elles peuvent être une source de pollution de l’air intérieur.”
Enfin, disent les auteurs de l’étude, les effets biologiques à long terme de leur utilisation ne sont toujours pas connus, contrairement à la nocivité de la cigarette normale qui, elle, est bien connue.
Pour s’attaquer à la question de savoir si l’utilisation de la cigarette électronique est utile ou nocive face aux efforts visant à contrôler l’usage du tabac, les auteurs ont analysé 84 études scientifiques sur l’e-cigarette et d’autres matériaux scientifiques.
Ils ont conclu que les e-cigarettes devraient être interdites partout où les cigarettes normales le sont déjà, et qu’elles devraient faire l’objet des mêmes restrictions marketing que les cigarettes conventionnelles.
Les e-cigarettes délivrent aux utilisateurs un aérosol contenant de la nicotine communément appelé “vapeur”, en chauffant une solution qui contient le plus souvent de la glycérine, de la nicotine et des agents de saveur. Les e-liquides peuvent être aromatisés au tabac, au menthol, café, bonbon, fruit ou aux saveurs d’alcool.
Malgré de nombreuses questions restées sans réponses à propos de la sécurité des e-cigarettes, sur leur impact sur la santé publique et si ces produits sont efficaces pour réduire le tabagisme, les e-cigarettes ont rapidement pénétré le marché. Vendues par les principales multinationales du tabac et par d’autres sociétés, ces produits sont agressivement placardés dans des publicités écrites, télévisées ou sur internet, avec des messages ressemblant fort à ceux de la cigarette conventionnelle dans les années 1950 et 1960, même dans les pays où la publicité pour le tabac est interdite.
Pour illustration de la rapidité avec laquelle les e-cigarettes se sont répandues dans la population, leur utilisation, ne serait-ce qu’une fois, par les jeunes aux États-Unis est passée de 3,3% en 2011 à 6,8% les années suivantes ; en Corée, celle-ci est passée de 0,5% en 2008 à 9,4% en 2011. En outre, les plupart des adultes et des jeunes qui utilisent des cigarettes électroniques n’ont pas pour autant abandonné les cigarettes conventionnelles, et fument les deux à la fois.
Alors que la plupart des fumeurs d’e-cigarettes fument aussi du tabac, jusqu’à un tiers des adolescents utilisateurs n’avaient jamais fumé de cigarettes conventionnelles auparavant, ce qui indique que certains jeunes commencent à fumer avec l’e-cigarette, en devenant accrocs à la nicotine par ce biais.
Mais leur compte-rendu a également traité le problème de l’exposition passive à la fumée. “L’e-cigarette ne brûle ni ne dégage autant de fumée que les cigarettes au tabac, elles n’émettent donc pas de fumée de tabac. Cependant, le voisinage des vapoteurs est exposé aux aérosols exhalés par les utilisateurs” explique les auteurs. Les toxines et la nicotine ont été mesurées dans ces aérosols, tel que du formaldéhyde, de l’acétaldéhyde, de l’acide acétique et d’autres toxines émises dans l’air, bien qu’à des niveaux plus faibles que celles des émissions de cigarettes conventionnelles.
Une étude sur les cigarettes électroniques a été conçue pour ressembler à l’ambiance d’un bar enfumé : les chercheurs ont découvert que les marqueurs de la nicotine chez les non-fumeurs étaient presque identiques pour la fumée de cigarette et pour l’exposition aux aérosols de l’e-cigarette. Les études sur l’exposition à court terme à la cigarette électronique montrent un impact négatif sur le fonctionnement pulmonaire, et le voisinage des vapoteurs absorbe de la nicotine venant de leur exposition passive aux aérosols.
Alors que les premières recherches avaient trouvé que les e-cigarettes avaient pour conséquence de faire baisser les niveaux de nicotine dans le sang par rapport aux cigarettes conventionnelles, des recherches plus récentes ont démontré que les utilisateurs réguliers pouvaient atteindre une absorption de nicotine identique à celle des cigarettes normales.
Quand les scientifiques de l’USCF ont rassemblé les résultats de cinq études de population de fumeurs, ils ont trouvé que les fumeurs qui fumaient des cigarettes électroniques étaient environ un tiers moins susceptibles d’arrêter de fumer que ceux qui n’utilisaient pas d’e-cigarette. Le fait de savoir si les e-cigarettes empêchent toute tentative d’arrêter de fumer, ou si les gens qui choisissent de vapoter sont plus fortement dépendants, et ont donc plus de mal à arrêter de fumer, est encore à déterminer.
Les scientifiques ajoutent que leur recherche illustre un besoin urgent de règlementation. “Alors qu’il est raisonnable de supposer que si les fumeurs actuels passent de la clope normale à la cigarette électronique (sans rien changer d’autre dans leur style de vie), il y aurait moins de maladies dues à l’addiction à la nicotine ; les éléments de preuve à ce jour, bien que limités, montrent un fort niveau d’utilisation à la fois d’e-cigarettes et de cigarettes au tabac, sans prouver que ce soit une aide pour arrêter de fumer, mais en revanche que cela augmente l’initiation des jeunes aux cigarettes électroniques” écrivent les chercheurs.
“En outre, les fort taux d’utilisation des deux types de cigarettes pourraient avoir comme conséquence une charge plus lourde pour la Sécurité Sociale Car cela peut augmenter le risque chez le fumeur s’il conserve même un faible niveau d’addiction aux cigarettes au tabac pendant plusieurs années au lieu d’arrêter de fumer”.
Références :
[1] Contemporary Reviews in Cardiovascular Medicine . Rachel Grana, Neal Benowitz, Stanton A. Glantz. Circulation, 2014 ; 129 : 1972-1986.