Dans notre combat pour contrôler notre tour de taille, la graisse est notre ennemie. C’est la graisse, ou tissu adipeux, qui nous donne nos poignées d’amour, nos culottes de cheval et ce petit ventre. Et quand les chirurgiens esthétiques sculptent les gens dans la masse, c’est le tissu graisseux qu’ils sucent et jettent avec les déchets cliniques.

Cela peut sembler bizarre, mais un type de tissu adipeux peut aussi être la clé pour contrôler notre poids. Non pas les tissus adipeux blancs habituels, mais un type spécial appelé graisse brune.

Chez certains mammifères, la graisse brune transforme l’énergie provenant de la nourriture en chaleur, brûlant des calories sans dispenser d’efforts. On pensait que les êtres humains adultes n’avaient pas de graisse brune, mais de nouvelles preuves indiquent que cela est faux, et celle-ci est en fait présente et fonctionnelle chez certains individus. Les différences dans la quantité de graisse brune qu’a chaque personne pourraient aider à expliquer pourquoi certains d’entre nous sont maigres, tandis que d’autres sont en surpoids, et pourquoi certains d’entre nous empilent les kilos avec l’âge.

Les chercheurs expérimentent de différentes façons les moyens d’augmenter la quantité ou l’activité de notre graisse brune, soit pharmaceutiquement soit chirurgicalement, en extrayant la graisse blanche ordinaire par liposuccion, la transformant en graisse brune pour la réimplanter. 50 grammes de graisse brune, largement ce que certains d’entre nous avons déjà, pourrait dissiper environ 500 calories par jour. “Je fais de l’exercice sur un vélo elliptique, et il est très difficile de brûler 500 calories” dit Ronald Kahn, directeur de la recherche sur l’obésité du Harvard Medical School’s Joslin Diabetes Center. “Si je pouvais le faire sans travailler et tous les jours, ce serait génial !”

Le rôle de la graisse brune dans la génération de chaleur, connue sous le nom de thermogenèse, a été intensivement étudié par les physiologistes animaux. Il semble que les cellules de graisse brune aient des mitochondries inhabituelles, ces petites structures trouvées dans presque toutes les cellules qui libèrent l’énergie de la nourriture.

Dans la grande majorité des cellules, cette énergie est soit stockée soit utilisée pour alimenter les processus cellulaires. Les mitochondries dans la graisse brune contiennent cependant une protéine appelée thermogénine (ou protéine découplante 1), qui fait que l’énergie se dissipe sous forme de chaleur. “C’est un tissu dont le seul but est de brûler de l’énergie” dit Francesco Celi, chercheur au National Institutes of Health.

Comme vous pouvez vous y attendre, cette forme de génération de chaleur est importante quand il fait froid, et a dû en tant que telle avoir été un élément important de l’évolution des mammifères. Chez les humains, elle est utile chez les bébés, qui sont enclins à perdre de la chaleur à cause de leur petite taille qui leur donne un faible ratio surface/volume, et leurs systèmes de régulation de la température sont immatures, ils peuvent même frissonner. Sous la peau, les bébés ont des dépôts visibles de graisse brune, principalement autour du dos, des épaules et du cou.

En devenant adulte, les choses changent. Des autopsies d’adultes révèlent soit qu’il n’y a pas du tout de graisse brune, soit des traces insignifiantes dans la graisse blanche. Ceci conduit vers l’hypothèse que d’autres tissus prennent le dessus en tant que générateur de chaleur quand cela est nécessaire. Les muscles, par exemple, peuvent générer de la chaleur par la thermogénèse frissonnante et non frissonnante.

Puis en 2002, une nouvelle façon de visionner l’intérieur du corps humain, appelé la tomographie par émission de positrons (PET scan), a donné des résultats bizarres. La technique implique de passer des gens aux rayons X, après qu’on leur ait injecté un marqueur radioactif qui permettait de détecter les points métaboliques chauds, révélateurs de signes de tumeurs. Mais les images étaient occasionnellement gâtées par des constellations de points lumineux autour de la clavicule, les épaules et le dos.

Vêtus uniquement de blouse d’hôpital, les patients avaient tendance à avoir froid pendant leur examen de scanner. Quand les pièces étaient plus chaudes, les points troublants disparaissaient. Les radiologues ont commencé à suspecter qu’il s’agissait de la graisse brune qui “s’enflammait” en réponse au froid.

L’intérêt dans la graisse brune s’est raffermi, et plusieurs groupes ont commencé à chercher le fameux tissu plus systématiquement chez les volontaires. Un ensemble d’études publiées dans le passé a montré que certaines personnes avaient des petits îlots, mais distincts, de graisse brune, chacun avec son appareil circulatoire sanguin et un réseau nerveux. L’analyse des échantillons de tissus des points chauds a montré qu’ils contenaient de la thermogénine, la marque de fabrique de la graisse brune.

“Tout le monde voudrait maintenant dire sans équivoque que les humains adultes ont de la graisse brune, et que la graisse brune peut être active dans des circonstances normales” dit Ronald Kahn, auteur des articles [1]. Mais personne ne l’a fait. Tandis que seulement un petit nombre de personnes a été testé, les chercheurs commencent à tirer certaines conclusions à propos de qui en a le plus.

L’âge est un des facteurs. Dans une étude récente, la graisse brune métaboliquement active a été trouvée chez presque la moitié des sujets âgés entre 23 et 35 ans, mais elle n’était présente que chez 2 des 24 personnes âgées entre 38 et 65 ans [2]. L’équipe a aussi trouvé que les personnes avec le moins de graisse brune tendaient à être plus grosses.

Pouvons dès lors conclure que la graisse brune protège contre la prise de poids ? “Nous ne pouvons dire quoi que ce soit à propos de la cause et de l’effet” dit Jan Nedergaard de l’Université de Stockholm en Suède, un vétéran de la recherche sur la graisse brune. Il est possible, précise-t-il, que les gens obèses aient d’une manière ou d’une autre vécu un déclin de leur graisse brune.

Cependant, la recherche sur les animaux confirme l’idée qu’un manque de graisse brune pourrait être une cause plutôt qu’une conséquence de l’obésité. Par exemple, les souris qui sont génétiquement modifiées pour manquer de thermogénine sont plus susceptibles de devenir obèses [3]. “Nous croyons que probablement la maigreur est secondaire au fait de posséder des quantités plus grandes de graisse brune active” dit Kahn.

Il se pourrait que ce soit nos gènes qui nous offrent une chance, dans cette loterie métabolique, tout en laissant les autres se battrent leur vie durant contre leur poids. “Nous savons que chez certains animaux, il semble y avoir une différence génétique dans la quantité de graisse brune activable qu’ils détiennent” dit Kahn. “Ainsi je serais tenté de penser que la même possibilité est vraie chez les humains.’

Cela soulève une question importante : pouvons-nous contrôler la puissance de la graisse brune pour aider les gens en surpoids afin qu’ils affinent leur tour de taille ? Ceci pourrait, en théorie, se faire soit en stimulant la quantité de graisse brune, soit en stimulant son activité aux températures normales de tous les jours, ou de préférence les deux.

Substitution hormonale

Nedergaard croit qu’il faudrait se concentrer sur la prévention du déclin de la graisse brune quand on avance en âge. “La plupart de l’obésité apparaît à l’âge mûr et au-delà, et il semble que ce soit quand l’activité de la graisse brune commence à disparaître” dit-il. Il pourrait être possible d’identifier la cause de ce déclin et l’inverser, peut-être en replaçant l’hormone perdue. Mais ce à quoi pourrait ressembler cette hormone demeure un mystère.

Certains médicaments pour le diabète, de la classe des glitazones, ou des thiazolidinediones, ont montré augmenter la quantité de graisse brune chez les rats et stimuler la formation de cellules de graisse brune des êtres humains en laboratoire. Cependant, quand ils sont utilisés pour traiter le diabète, ils ne semblent pas activer la graisse brune, ni causer de perte de poids.

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Une autre approche est de regarder le mécanisme qui cause l’activation de la graisse brune quand un animal est exposé au froid. Chez les animaux et les humains aussi, l’activation est provoquée par la libération de l’hormone noradrénaline, qui interagit avec un récepteur à la surface de la cellule, appelé récepteur andrégénique bétâ-3. Les rongeurs et les chiens perdent du poids quand on leur donne des médicaments qui stimulent ces récepteurs, mais les tentatives de reproduire cette action chez les humains ont montré un effet beaucoup plus faible. Peut-être est-ce parce qu’il ne reste à la plupart des gens que très peu de graisse brune active ?

Si nos stocks naturels de graisse brune ont diminué, peut-être qu’une approche plus radicale serait nécessaire. Bien que les travaux en soient toujours à une étape initiale, au moins deux groupes étudient les moyens de créer des cellules de graisse brune en laboratoire, avec comme but de les implanter chirurgicalement.

L’équipe de Kahn se focalise sur un composé appelé BMP7 (Bone Morphogenic Protein 7 – protéine non collagénique de l’os). Elle est plus connue pour favoriser la formation des os et du cartilage, et une version génétiquement modifiée est utilisée en chirurgie de l’os. L’an dernier, le groupe a montré que si les cellules tirées de cellules souches embryonnaires de souris étaient traitées avec la BMP7, elles se transformaient en cellules de graisse brune. Quand elles sont transplantées dans une espèce spéciale de souris qui accepte les tissus d’individus sans relations, elles forment de discrets îlots de graisse brune [4].

Pour tester cette approche chez les gens, l’équipe prévoit maintenant de prendre des cellules de graisse blanche obtenues par liposuccion pour les traiter par la BMP7. Les cellules de graisse brune résultantes pourraient être réimplantées dans le donneur original. “C’est une possibilité intéressante” dit Kahn.

La liposuccion pourrait cependant ne pas être la seule source de cellules de graisse brune. Dans un article, que Science considère comme l’une des 10 percées scientifiques de 2008, une équipe de la Harvard Medical School a montré que durant le développement embryonnaire, les cellules de graisse brune ne provenaient pas de la graisse, mais des cellules précurseurs du muscle [5]. L’équipe a aussi identifié le gène donneur d’ordre, appelé PRDM16, qui commute ces cellules en voie de développement de graisse brune. C’est “le régulateur maître de la graisse brune” dit Bruce Spiegelman, qui a dirigé la recherche.

Le mois dernier, son équipe a pris des cellules de peau de souris, pour les transformer en PRDM16 et en autre gène, pour retransplanter les cellules altérées dans la même souris. Sur les PET scans suivants, la souris avait des petits points où les tissus transplantés s’étaient transformés en îlots de graisse brune [6]. Les chercheurs étudient maintenant si une approche identique pouvait être répétée chez les individus, tout comme ils cherchent des candidats potentiels pour leur capacité à commuter en PRDM16. “Il est clair que ces voies existent chez les êtres humains” dit Spiegelman.

Manipuler la graisse brune, que ce soit avec des médicaments ou via la chirurgie, pourrait cependant ne pas être sans risques. En augmentant la dépense énergétique vous générez un état métabolique de flux élevés, précise Celi. Ceci pourrait augmenter notre exposition aux radicaux libres potentiellement nocifs par le métabolisme, ce qui pourrait causer des cancers ou même accélérer le vieillissement.

Ainsi, au lieu d’essayer d’accélérer artificiellement la graisse brune, avec le risque d’effets secondaires associé, pourquoi ne pas seulement l’activer en allant plus au froid, ou en baissant le chauffage ? Au premier abord, ce dernier choix offre la possibilité intéressante de sauver à la fois notre tour de taille et la planète.

Nous ne savons cependant pas jusqu’à combien il faudra baisser la température intérieure pour obtenir une différence significative. L’autre inconnue est de savoir si la stimulation de la graisse brune par le froid serait la cause d’autres mécanismes compensatoires pour y faire face. Comme Nedergaard le précise, notre réponse naturelle au froid est de manger plus… ou de mettre un pull-over.

De nombreuses autres questions demeurent, mais le vieux dogme selon lequel la graisse brune est soit absente ou n’a pas de rôle physiologique chez les humains adultes a été renversé. Cela est susceptible d’ouvrir tout un ensemble de nouvelles options potentielles dans le contrôle du poids. Les médicaments qui augmentent la graisse brune pourraient-ils un jour être autorisés et mis sur le marché dans le cadre d’un traitement contre l’obésité ? S’ils sont sûrs et efficaces, seront-ils disponibles pour les personnes de poids normal dans leur quête de la silhouette parfaite ?

L’augmentation globale de l’obésité est un problème très complexe, impliquant non seulement des facteurs biologiques, mais aussi sociaux, économiques et psychologiques. Personne ne suggère que ceux-ci pourraient être traités avec de simples pilules magiques, mais peut-être pourrait-il s’agir d’une “petite aide”. Comme le dit Spiegelman : “Nous avons le potentiel pour développer une nouvelle approche de l’obésité.”

Épilogue : Chauffage central pour mammifères

Selon Jan Nedergaard et Barbara Cannon de l’Université de Stockholm, la graisse brune pourrait avoir été l’une des adaptations évolutionnistes qui a aidé les premiers mammifères à exploiter un nouveau champ de niches écologiques.

La capacité des tissus à générer de la chaleur résulte de mutations qui sont la cause d’une protéine, connue comme étant la thermogénine, ou protéine découplante 1, qui est probablement apparue tôt dans l’évolution des mammifères, spéculent-ils [7]. La thermogénine transforme l’énergie de la nourriture en chaleur.

A côté des autres adaptations, qui ont fait de nous des animaux à sang chaud, la thermogénine pourrait avoir permis aux premiers petits mammifères d’être des animaux nocturnes et de vivre dans des environnements froids, réduisant de ce fait la compétition directe avec les reptiles à sang froid.

“La graisse brune ouvre cette niche pour les mammifères d’être actifs pendant la nuit” dit Nedergaard. “La capacité de passer d’un endroit à un autre et de se nourrir quand il fait froid est clairement un avantage.”

Références :

[1] Identification and Importance of Brown Adipose Tissue in Adult Humans. The New England Journal of Medicine, vol 360, p 1509.

[2] Sex and Depot Differences in Adipocyte Insulin Sensitivity and Glucose Metabolism. Diabetes, vol 58, p 803.

[3] UCP1 Ablation Induces Obesity and Abolishes Diet-Induced Thermogenesis in Mice Exempt from Thermal Stress by Living at Thermoneutrality. Cell Metabolism, vol 9, p 203.

[4] New role of bone morphogenetic protein 7 in brown adipogenesis and energy expenditure. Nature, vol 454, p 1000.

[5] PRDM16 controls a brown fat/skeletal muscle switch. Nature, vol 454, p 961.

[6] Initiation of myoblast to brown fat switch by a PRDM16–C/EBP-β transcriptional complex. Nature.

[7] Physiological Reviews, vol 84, p 277.

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