Une nouvelle théorie alimentaire à propos des aliments pouvant allonger l’espérance de vie est en train de prendre forme, et elle promet d’être controversée. Deux études publiées cette semaine, une sur des souris et l’autre sur des êtres humains, suggère que le fait de manger relativement peu de protéines et beaucoup d’hydrates de carbone (des sucres lents) – c’est-à-dire tout le contraire que ce qui est préconisé par de nombreux régimes alimentaires à la mode dont le régime Atkins – allongerait la vie tout en fortifiant la santé.
Cette recherche remet également en cause d’autres “sagesses populaires”. Les auteurs des deux études pensent que la restriction calorique, qui est une alimentation très chiche qui a permis à des souris et à d’autres espèces de vivre plus longtemps que la normale, pourrait fonctionner non pas parce que cela réduit fortement les calories ingérées, mais plutôt parce que cela diminue les protéines.
Ils font également l’hypothèse que l’équilibre faible en protéines/riche en sucres, qui semble allonger l’espérance de vie dans les deux études publiées dans le journal scientifique Cell Metabolism [1] [2], pourrait expliquer pourquoi les individus avec quelques rondeurs vivent plus longtemps en moyenne que les plus maigres, ce que les épidémiologistes étaient pressés de comprendre.
“Si ces deux études sont vraiment correctes, tout ce que les gens essayent de faire en général pour maigrir et rester mince pourrait être complètement faux en termes de maintien de la santé et même de longévité” explique Shin-ichiro Imai, biologiste moléculaire à l’Université de Washington qui étudie le vieillissement.
Cependant, le “si” est très important. La réciproque entre l’alimentation et la santé est extraordinairement compliquée, et les régimes protéinés en général ont semé la confusion. D’un côté certains chercheurs ont trouvé une corrélation entre le fait de consommer beaucoup de protéines et les maladies cardiovasculaires. D’un autre côté, les régimes riches en hydrates de carbone ont été associés à une amélioration des profils métaboliques, comme des niveaux de glucose dans le sang plus bas. Il n’est pas facile de dissocier le rôle des protéines de celui des calories ingérées ou des hydrates de carbone. “Il y a un tel ensemble de variables qui entrent en jeu”, expliquent les chercheurs.
Un groupe de recherche Australien dirigé par le physiologiste de la nutrition Stephen Simpson et le biogérontologue David Le Couteur de l’Université de Sydney, a tenté d’éclaircir certaines de ces confusions en répartissant 858 souris dans l’un des 25 régimes alimentaires contenant différents mélanges de protéines, de sucres, de graisses et de fibres. Toutes avaient la permission de manger autant qu’elles le voulaient.
Les souris dont l’alimentation contenait 5% à 15% de protéines et 40% à 60% d’hydrates de carbone ont vécu le plus longtemps, jusqu’à 150 semaines comparées aux 100 semaines de celles qui avaient une alimentation composée d’environ 50% de protéines. En comparaison, l’Américain moyen, par exemple, tire environ 16% de ses calories des protéines. Les animaux qui suivaient l’alimentation faible-protéines/riche-en-sucre avaient aussi la tension la plus basse, une meilleure tolérance au glucose et un meilleur taux de cholestérol (le niveau des graisses dans leur alimentation ne semblait pas faire beaucoup de différence).
Les souris qui ont mangé beaucoup de protéines étaient plus maigres – comme tendent à l’être les gens qui suivent une alimentation riche en protéines. Mais pour ces souris, cette sveltesse s’est traduite par une plus mauvaise santé et un décès plus précoce. Cette découverte, dit Le Couteur, confirme le “concept de la saine obésité”, qui est apparue dans les études épidémiologiques sur des personnes légèrement en surpoids. Il suggère que si leur alimentation est plus riche en hydrates de carbone, et plus faible en protéines que d’habitude, cela pourrait en être la cause.
Mais nous ne sommes pas des rongeurs, et des milliers d’études qui s’avéraient prometteuses faites sur des souris, n’ont rien donné une fois appliquées aux êtres humains. C’est la raison pour laquelle il faut pouvoir confirmer ces données avec des études sur des êtres humains.
La seconde étude d’un chercheur en gérontologie, Valter Longo, de l’Université de Californie à Los Angeles, s’est concentrée sur des données provenant de 6381 adultes sur une période de plus de 50 ans, qui ont été interrogés sur leur alimentation. Cette étude faisait partie d’une autre beaucoup plus grande, la NHANES qui est une étude nationale sur la santé et la nutrition. L’équipe de Longo a utilisé des relevés des déclarations de décès pour arriver à la conclusion que les individus décédés avant 65 ans, qui avaient rapporté que leur alimentation était riche en protéines – pour lesquels les participants déclaraient qu’au moins 20% des calories provenaient des protéines -, avaient un risque beaucoup plus important de maladie et de décès qu’un groupe qui tirait 10% ou moins de ses calories des protéines. Les gros mangeurs de protéines étaient quatre fois plus susceptibles de décéder d’un cancer dans les 18 années qui suivaient cette étude, et 75% plus susceptibles de passer l’arme à gauche de toute cause.
Ceux qui sont susceptibles de saisir un bout de pain plutôt qu’une saucisse devraient cependant noter qu’en même temps que les participants de l’étude NHANES vieillissaient, la part des protéines dans l’alimentation devenait plus importante. Dans une population âgée de plus de 65 ans, ceux qui ont mangé beaucoup de protéines ont vécu plus longtemps en moyenne que ceux qui en mangeaient moins. Les gériatres en ont déduit l’importance des protéines pour les personnes âgées, et ils ont raison. Mais Longo et son équipe font l’hypothèse que les individus plus âgés pourraient être moins susceptibles d’absorber toutes les protéines qu’ils mangent, et qu’ils en auraient de ce fait plus besoin.
Ces résultats sont en phase avec certains indices moléculaires. Le fait de réduire la consommation de protéines est connu pour diminuer les niveaux d’un facteur de croissance appelé IGF-1, et des niveaux plus bas d’IGF-1 sont associés à une espérance de vie plus longue, et à des réductions du risque de cancer et de diabète. Le fait de limiter les protéines alimentaires diminue aussi les niveaux d’une protéine appelée mTOR, et moins de mTOR allonge la vie des souris. Les Australiens ont vu les effets du mTOR sur leurs animaux. L’équipe de Longo, qui a testé des échantillons stockés venant des participants de l’étude, a vu que des niveaux plus élevés d’IGF-1 étaient corrélés à plus de protéines alimentaires.
“Il y a certainement de la vérité dans cette relation entre la consommation de protéines et la longévité” dit Matt Kaeberlein, biologiste moléculaire qui étudie la longévité à l’Université de Washington. “Mais il est probablement trop simpliste de dire que tout le monde devrait se mettre au régime hypo-protéiné à ce jour”. Parmi les nombreux avertissements, par exemple, on peut dire que l’étude sur les souris n’a utilisé qu’une seule souche, et que différentes souches peuvent avoir des réactions différentes à une alimentation comme celle d’une restriction calorique.
Il pense également qu’il est peu probable que le fait de seulement réduire les protéines explique l’impact important de la restriction calorique sur la durée de vie. Le Couteur veut s’en assurer, lui et ses collègues prévoient de mettre en place une étude qui va opposer une alimentation hypo-protéinée et riche en hydrates de carbone à un régime hypocalorique, pour voir quelles souris vont vivre le plus longtemps.
Références :
[1] Levine et al. Low Protein Intake is Associated with a Major Reduction in IGF-1, Cancer, and Overall Mortality in the 65 and Younger but Not Older Population. Cell Metabolism. Volume 19, Issue 3, 407-417, 2014.
[2] Solon-Biet et al. The ratio of macronutrients, not caloric intake, dictates cardiometabolic health, aging and longevity in ad libitum-fed mice. Cell Metabolism.