Seul un quart de la population respecte les recommandations officielles de consommer cinq portions de fruits et légumes par jour. En fait, presque la moitié mange moins de trois portions par jour [1]. Il semble donc peu probable dans ce cas que la plupart des gens soit en mesure d’atteindre les dix portions par jour, tel que récemment suggéré par plusieurs publications ces derniers mois.

Plus récemment, un article de l’International Journal of Epidemiology [2] a apporté des preuves que le fait d’augmenter la consommation de fruits et légumes jusqu’à dix portions (soit 800 grammes environ) par jour réduirait encore plus le risque de cancer, de maladies cardiovasculaires et de décès prématuré. Mais quelle est la solidité de ces preuves, et dans quelle mesure ce conseil est-il pratique pour la plupart des individus ou pour la société dans son ensemble ? Une analyse plus rigoureuse montre que nous devons rester prudents quand il s’agit de transformer cette recherche complexe en des recommandations simples et utiles.

Le mantra du “cinq par jour” vient des recommandations de l’OMS en 1990 [3] et de nombreux pays développés l’ont adopté comme conseil officiel. Depuis, des recherches complémentaires ont été réalisées et ont montré que chacune des cinq premières portions de 80 grammes de fruits et légumes qu’une personne mange chaque jour est associée à une diminution de 5 % des décès cardiovasculaires considérés globalement. Mais le lien entre les légumes et la prévention de la maladie n’est pas toujours aussi évident. Par exemple, l’étude European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC) [4] de 2010 n’a trouvé qu’une faible diminution du risque de cancer associé à la consommation de fruits et légumes

Puis arrivèrent deux études qui sont allées plus loin avec la recommandation de manger plus de cinq portions par jour. La première, qui date de 2014, a associé l’information sur le mode de vie de 65 000 individus de l’étude Health Survey for England [5] aux tables de mortalité. Elle a rapporté que plus les gens mangeaient de fruits et légumes, moins ils étaient susceptibles de décéder de maladie cardiovasculaire ou de cancer. Le taux de décès parmi ceux qui mangent en moyenne moins d’une portion par jour était deux fois plus élevé que chez ceux qui en mangeaient plus de sept.

Mais la consommation de fruits et légumes n’était pas le seul élément qui était associé au taux de décès. Le groupe qui n’en mangeait qu’une portion par jour était aussi plus susceptible d’être très âgé, masculin, moins diplômé, fumeur, physiquement inactif et il buvait plus d’alcool. Ainsi, les chercheurs ont analysé les données d’une manière qui prenait en compte tous ces autres facteurs, bien qu’ils ne puissent pas le faire pour des choses qui n’étaient pas enregistrées comme la consommation de graisses saturées par exemple.

Après cette correction, les données ont montré que ceux qui mangeaient de trois à cinq portions de fruits et légumes par jour étaient toujours 25 % moins susceptibles de décéder que ceux qui étaient dans la catégorie à une portion par jour. Ceux qui mangeaient de cinq à sept portions par jour étaient 6 % moins susceptibles de décéder et ceux qui mangeaient plus de sept portions par jour avaient encore une baisse de 3 % du taux de décès. Ceci signifie que les bénéfices les plus importants étaient corrélés à une augmentation de la consommation de fruits et légumes jusqu’à cinq portions par jour.

L’étude plus récente a rassemblé les résultats de 95 études de cohorte qui ont chacune suivi un grand groupe de personnes dans le temps [6]. Elle a trouvé une association solide entre la consommation de fruits et légumes jusqu’à 10 portions par jour et une réduction des décès – globalement et de maladie cardiovasculaire en particulier. Mais de nouveau, l’étude a montré que ces bénéfices étaient les plus importants quand la consommation augmentait jusqu’à cinq portions par jour, puis ils diminuaient de façon marquée après cela. Il y avait aussi une baisse des décès par cancer quand les gens mangeaient plus de fruits et légumes, mais cet effet était plus faible et il s’atténuait plus tôt.

Ces études confirment que la consommation plus importante de fruits et légumes est associée à moins de décès, moins de maladies de cœur et peut-être à une diminution du risque de cancer. Les bénéfices sont particulièrement visibles quand les gens augmentent leur consommation de fruits et légumes jusqu’à cinq portions par jour. Mais les bénéfices associés à une consommation plus importante que ça sont plus faibles et moins certains.

Nous ne savons pas non plus avec certitude si les fruits et les légumes sont réellement la cause de ces bénéfices apparents. Il est possible qu’ils soient dus à d’autres facteurs associés ou à des variables confondantes, comme de manger moins de graisses saturées. La plupart des chercheurs essaye d’ajuster ses données pour prendre ces éléments en compte, mais il n’y a pas de baguette magique statistique qui puisse faire cela de manière impeccable. Certains facteurs sont difficiles à jauger avec précision et d’autres pourraient être loupés.

Cependant, l’association entre le fait de manger plus de fruits et légumes et la longévité est solide, constante, graduelle selon la quantité mangée et elle reste solide même après que de nombreux autres facteurs soient pris en compte. Cela signifie que le fait de manger plus de fruits et légumes cause très probablement les bénéfices à la santé qui lui sont associés. Mais nous ne pouvons pas en dire autant pour ce qui est de manger plus de cinq portions de fruits et légumes par jour. Des études futures ne vont sans doute pas changer cela, ni ne pourront prouver la cause et l’effet.

Des preuves plutôt faibles

Les études récentes n’apportent que de faibles preuves d’un bénéfice supplémentaire de manger plus de cinq portions de fruits et légumes par jour. Il faut donc se poser la question de savoir si cela vaut la peine d’en faire une recommandation officielle. Presque toutes les études ont utilisé des adultes autour de la quarantaine ou plus âgés. Ainsi, nous ne savons pas si dix portions par jour seraient appropriées pour d’autres groupes comme les enfants en pleine croissance et les adolescents.

En outre, tandis que les individus qui mangent peu de fruits et légumes tireront un grand bénéfice d’en manger plus, le fait d’augmenter l’objectif officiel à “dix par jour” pourrait en fait décourager de nombreuses personnes. La plupart des gens se forcerait à en manger autant, et donc le fait de ne pas arriver à atteindre cet objectif deviendrait quelque chose d’attendu, d’accepté puis d’excusable.

Références :

[1] Fruit and vegetable consumption and all-cause, cancer and CVD mortality : analysis of Health Survey for England data. BMJ Journal.

[2] Fruit and vegetable intake and the risk of cardiovascular disease, total cancer and all-cause mortality–a systematic review and dose-response meta-analysis of prospective studies. International Journal of Epidemiology, 2017.

[3] Régime alimentaire, nutrition et prévention des maladies chroniques. Rapport d’un Groupe d’étude de l’ OMS (OMS, série de rapports techniques, no. 797).

[4] Fruit and Vegetable Intake and Overall Cancer Risk in the European Prospective Investigation Into Cancer and Nutrition (EPIC). J Natl Cancer Inst (2010) 102 (8) : 529-537.

[5] Fruit and vegetable consumption and all-cause, cancer and CVD mortality : analysis of Health Survey for England data. Journal of Epidemiology & Community Health 2014 ; 68 799-800.

[6] Fruit and vegetable intake and the risk of cardiovascular disease, total cancer and all-cause mortality–a systematic review and dose-response meta-analysis of prospective studies. Int J Epidemiol.

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