Legumes crus meilleurs pour la santé

Les légumes perdent-ils leur valeur nutritionnelle quand ils sont cuits ?

Cuire les aliments est essentiel pour notre alimentation. Cela nous aide à digérer la nourriture sans avoir à dépenser de trop grandes quantités d’énergie. Cela adoucit les aliments, comme les fibres de cellulose et la viande crue, que nos petites dents, nos faibles mâchoires et nos systèmes digestifs ne sont pas équipés pour s’en occuper. Et tandis qu’on peut entendre de la part des “fondus du cru” que le fait de cuire tue les vitamines et les minéraux des aliments (tout en dénaturant les enzymes qui aident à la digestion), il s’avère que les légumes crus ne sont pas toujours bons à la santé. Alors est-ce-que les légumes crus sont meilleurs pour la santé ?

Une étude publiée dans le The British Journal of Nutrition [1] a trouvé qu’un groupe de 198 sujets, qui avait suivi un régime strict d’aliments crus, avait des niveaux normaux de vitamine A, et des niveaux relativement élevés de beta-carotène (un antioxydant que l’on trouve dans les légumes verts et les fruits), mais de faibles niveaux de l’antioxydant lycopène.

Le lycopène est un pigment rouge trouvé surtout dans les tomates et dans les autres fruits roses comme la pastèque, la goyave rose, le poivron rouge et la papaye. Plusieurs études dirigées (au Harvard Medical School notamment) ont associé une consommation importante de lycopène à une diminution des risques de cancers et de crises cardiaques. Rui Hai Liu, professeur associé de science de la nutrition à l’Université Cornell, qui a fait des recherches sur le lycopène, déclare que cela pourrait être un antioxydant plus puissant que la vitamine C.

Une des études qu’il a faites en 2002 (publiée dans le Journal of Agriculture and Food Chemistry [2]) a découvert que le fait de cuire augmentait effectivement la quantité de lycopène dans les tomates. Il explique que le niveau d’un type de lycopène, le cis-lycopène, dans les tomates atteignait 35% après qu’il les ait cuites pendant 30 minutes à 88° Celsius. La raison, explique-t-il, est que la chaleur rompt les épais murs de cellules de la plante, et aide le corps à prélever certains des nutriments qui sont attachés à ces murs cellulaires.

Les carottes, épinards, champignons, asperges, choux, poivrons cuits, et de nombreux autres légumes, apportent aussi plus d’antioxydants, comme les caroténoïdes et l’acide férulique, au corps qu’ils ne le font en étant crus, dit Liu. Tout du moins, quand ils sont bouillis ou cuit à la vapeur. Un compte-rendu de janvier 2008 dans le Journal of Agriculture and Food Chemistry [3] (Journal de l’Agriculture et de la Chimie Alimentaire) rapporte que cuire ou à la vapeur conserve mieux les antioxydants, particulièrement les caroténoïdes, dans les carottes, les courgettes et les brocolis que la friture, bien que les bouillir était de loin le mieux. Les chercheurs ont étudié l’impact des différentes techniques de cuisson sur des composés comme les caroténoïdes, l’acide ascorbique et les polyphénols.

Les aliments plongés dans l’huile et frits sont sources de radicaux libres, causés par l’huile qui est oxydée en continu quand elle est chauffée à hautes températures. Ces radicaux, qui sont hautement réactifs parce qu’ils ont au moins un électron impair, peuvent dégrader les cellules dans le corps. Les antioxydants dans l’huile et les légumes sont éliminés pendant la friture en stabilisant le cycle d’oxydation.

Une autre étude publiée dans ce même Journal of Agricultural and Food Chemistry en 2002 [4] a montré que cuire les carottes augmentait leurs niveaux de béta-carotène. Le bêta-carotène appartient au groupe des substances antioxydantes appelées caroténoïdes, qui donnent aux fruits et aux légumes leurs colorations rouge, jaune et orange. Le corps transforme le béta-carotène en vitamine A, qui joue un rôle important dans la vision, la reproduction, la croissance des os et régule le système immunitaire.

Le problème des légumes cuits, dit Liu, est que cela peut détruire la vitamine C. Il a découvert que les niveaux de vitamine C déclinent de 10% dans les tomates cuites pendant 10 minutes, et de 29% dans les tomates cuites pendant une demi-heure à 88°C. La raison est que la vitamine C, qui est hautement instable, est facilement dégradée par oxydation par l’exposition à la chaleur (qui peut augmenter le taux par lequel la vitamine C réagit avec l’oxygène dans l’air) et par la cuisson dans l’eau (elle se dissout dans l’eau).

Liu note cependant que le compromis pourrait être valable étant donné que la vitamine C est répandue dans plus de fruits et de légumes que le lycopène. Parmi eux : les brocolis, les oranges, les chou fleurs, le chou frisé et les carottes. A côté, les légumes cuits conservent certains de leurs contenus en vitamine C.

Ceci dit, la recherche montre que certains légumes, comprenant le brocoli, sont meilleurs à la santé crus que cuits. Selon une étude du Journal of Agricultural and Food Chemistry de novembre 2007 [5], la chaleur endommage l’enzyme myrosine, qui casse les glucosinates (composés dérivés du glucose et d’un acide aminé) dans les brocolis dans un composé connu sous le nom de sulforaphane.

La recherche publiée dans le journal Carcinogenesis [6] de décembre 2008 a trouvé que le sulforaphane pourrait bloquer la prolifération et tuer les cellules cancéreuses. Une étude de 2002 dans les The Proceedings of the National Academy of Sciences [7] a aussi trouvé que le sulforaphane pourrait aider à lutter contre la bactérie Helicobacter pylori, qui cause des ulcères et augmente le risque de cancer de l’estomac.

D’un autre côté, l’indol, un composé organique, se forme quand certaines plantes, particulièrement les légumes de la famille des choux comme le brocoli, le chou-fleur et le chou, sont cuits. Selon une recherche de The Journal of Nutrition de 2001 [8], l’indol aide à tuer les cellules précancéreuses avant qu’elles ne tournent en tumeurs malignes.

Et tandis que faire bouillir des carottes fait augmenter leur niveau de caroténoïdes, une autre étude a trouvé que cela provoquait une perte totale de polyphénols, un groupe d’éléments chimiques trouvés dans les carottes crues. Les polyphénols spécifiques ont montré avoir des propriétés antioxydantes et réduisent les risques de maladies cardiovasculaires et le cancer, selon un compte-rendu de 2005 de The American Journal of Clinical Nutrition [9].

Comparer l’apport à la santé des aliments crus et cuits est compliqué, et il demeure toujours de nombreux mystères entourant comment les différentes molécules des plantes interagissent avec le corps humain. L’important est d’abord de manger des fruits et des légumes. Nous les cuisons parce qu’ainsi ils ont meilleur gout. S’ils ont meilleur goût, nous en mangerons plus. C’est l’idée qu’il faut retenir.

Peut-on encore manger sans avoir peur ? Pierre Feillet.

Cahier de l’AFSSA, N° 1 : Nutrition et risques alimentaires.

 

Références :

[1] Long-term strict raw food diet is associated with favourable plasma β-carotene and low plasma lycopene concentrations in Germans. British Journal of Nutrition , Vol 99 , Iss 06 , Jun 2008 , pp 1293-1300

[2] Thermal Processing Enhances the Nutritional Value of Tomatoes by Increasing Total Antioxidant Activity. Journal of Agriculture and Food Chemistry, 2002, 50 (10), pp 3010–3014

[3] Effects of Different Cooking Methods on Nutritional and Physicochemical Characteristics of Selected Vegetables. J. Agric. Food Chem., 2008, 56 (1), pp 139–147

[4] Antioxidant Changes and Sensory Properties of Carrot Puree Processed with and without Periderm Tissue. J. Agric. Food Chem., 2000, 48 (4), pp 1315–1321

[5] Kinetics of the Stability of Broccoli (Brassica oleracea Cv. Italica) Myrosinase and Isothiocyanates in Broccoli Juice during Pressure/Temperature Treatments. J. Agric. Food Chem., 2007, 55 (6), pp 2163–2170

[6] Suppression of microtubule dynamic instability and turnover in MCF7 breast cancer cells by sulforaphane. Carcinogenesis 2008 29(12):2360-2368

[7] Sulforaphane inhibits extracellular, intracellular, and antibiotic-resistant strains of Helicobacter pylori and prevents benzo[a]pyrene-induced stomach tumors. PNAS

[8] Indole-3-Carbinol and Prostate Cancer. The American Society for Nutritional Sciences J. Nutr. 134:3493S-3498S, Dec. 2004

[9] Polyphenols and disease risk in epidemiologic studies Am J Clin Nutr Arts and Hollman 81 (1) : 317S

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