Une étude pose la question de la sécurité de la plongée en apnée

Selon une étude publiée dans le Journal de Physiologie Appliquée (Journal of Applied Physiology) [1], les plongeurs en apnée qui retiennent leur respiration pendant plusieurs minutes ont des niveaux élevés d’une protéine pouvant faire état de dégâts cérébraux. Cependant, l’apparition de la protéine, S100B, était provisoire et laisse ouverte la question de savoir si l’apnée longue peut causer des dégâts au cerveau sur le long terme.

“Les résultats indiquent qu’une apnée prolongée, volontaire, affecte l’intégrité du système nerveux central, et pourrait avoir des effets cumulés” expliquent les chercheurs suédois. La libération de la S100B dans le sang suggère que retenir sa respiration pendant une longue période de temps désorganise la barrière hémato-encéphalique, ajoutent-ils.

Le problème est que des expositions répétées à des hypoxies (manque d’oxygène) sévères (affaiblissant l’apport d’oxygène), comme celles vécues chez les individus s’entraînant et faisant de la compétition en apnée statique, pourraient causer des dommages neurologiques avec le temps. Les chercheurs recommandent davantage de recherches sur des plongeurs en apnée qui débuteraient leur carrière, tout en les suivant pendant des années afin d’enregistrer leur fonction neurologique.

La plongée en apnée en tant que tradition

Il y a une réelle tradition de la plongée en apnée au Japon, et dans d’autres parties du monde, qui remontent à plusieurs siècles, bien que celle-ci ait tendance à disparaître. Ces plongeurs récoltent des algues, des crustacés et d’autres espèces des fonds marins, plongeant des dizaines de fois par jour. Certains plongeurs plongent facilement jusqu’à 30 mètres en une fois, d’autres entre 5 et 10 mètres

Plus récemment, la plongée en apnée est devenue un sport de compétition. Les épreuves de compétition comprennent de grandes plongées en profondeur ou le plus longtemps possible. Les participants doivent suivre un entraînement intense afin d’augmenter leur capacité pulmonaire tout en apprenant les mesures de sécurité de base.

L’apnée provoque souvent une hypoxie, augmente la tension, ralentit les battements de coeur et d’autres modifications physiologiques. Cependant, le fait que ce sport cause des dégâts cérébraux sur le long terme ou non demeure un point de désaccord. Les études ayant produit des résultats contradictoires.

Les auteurs de cette étude y voient un sujet à problèmes, notant que dans six compétitions internationales entre 1998 et 2004, 10% des compétiteurs des épreuves d’apnée statique ont été disqualifiés après qu’ils aient perdu soit le contrôle de leurs mouvements, soit une perte de conscience. Dans cette épreuve, les participants doivent flotter face vers le bas dans l’eau le plus longtemps possible sans reprendre d’air. Le record du monde est de 11 mn et 35 s. à ce jour. Les plongeurs en apnée de compétition internationale parviennent sans problème à retenir leur souffle entre 4 et 7 minutes.

“Il reste à établir si de tels épisodes hypoxiques sont associés à un risque de dommages cérébraux chez ces athlètes” disent les chercheurs. “Etudier les modifications dans les marqueurs biochimiques établis des dégâts cérébraux après de telles performances offre la possibilité de cibler cette question.”

Expérience d’apnée

Neuf concurrents de plongée en apnée (huit hommes et une femme) ont pris part à cette étude, à côté de six individus qui ont une expérience limitée de plongée en apnée. Les neufs concurrents plongeurs formaient le groupe expérimental, tandis que les non plongeurs avaient le rôle de groupe contrôle.

Les chercheurs ont dit aux participants de se coucher sur le dos dans un lit de camp et de retenir leur respiration le plus longtemps possible. Les conditions étaient au sec, mais imitaient la plongée en apnée statique dans laquelle les plongeurs restent immobiles pendant qu’ils retiennent leur souffle. Les plongeurs utilisaient toutes les techniques préparatoires qu’ils utilisent habituellement en compétition, comme celle de l’hyperventilation, l’insufflation (le fait de remplir ses poumons avec le plus d’air possible) et l’échauffement.

Les chercheurs ont pris des échantillons de prise de sang à partir d’un cathéter inséré dans l’artère qui court à travers le poignet. Ils ont pris des échantillons avant l’apnée et à la fin, ainsi qu’à des intervalles fixes pendant les deux heures suivant le début et la fin de leur période d’apnée. Ils ont également mesuré les gaz du sang artériel. Ils ont réalisé les mêmes mesures sur les individus du groupe de contrôle, mais ces derniers n’ont fait que rester couchés sur le dos pendant toute l’expérience, sans retenir leur souffle ni de période d’échauffement.

Résultats de l’expérience :

 La moyenne de temps pendant lequel ils ont retenu leur soufflé était de 5 minutes et 35 secondes. Le plus long a duré 6 minutes et 43 secondes et le plus court 4 minutes 41 secondes.

 Le marqueur des dégâts cérébraux S100B s’est élevé chez sept des neuf plongeurs.

 Le groupe contrôle n’a montré aucun changement de leur protéine S100B.

 En moyenne, le S100B augmentait encore de 37% dans les 10 minutes après que l’apnée soit terminée

 Les niveaux de S100B sont revenus à la normale dans les deux heures pour tous les participants.

 Les plongeurs ont montré des signes d’asphyxie, c’est-à-dire que les niveaux d’oxygène dans le sang ont chuté, tandis que le dioxyde de carbone a augmenté.

Les niveaux de S100B, tout en augmentant, étaient bien en dessous des niveaux associés à des dommages cérébraux. Chez les patients atteints de lésions cérébrales, la présence de S100B dans le sang peut augmenter de plusieurs centaines de pourcent.

En outre, l’élévation de S100B était plus provisoire chez les plongeurs en apnée, comparés aux personnes qui souffraient de lésions cérébrales. Les plongeurs avaient un rapide retour à la normale, tandis que les niveaux de S100B ont eu un pic dans les 24 heures chez les patients cérébro-lésés.

La nature transitoire de l’augmentation de la S100B chez les plongeurs indique probablement que la barrière hémato-encéphalique a été compromise, permettant aux protéines de s’échapper du fluide du cerveau pour aller dans la circulation sanguine. La barrière hémato-encéphalique contrôle ce qui passe entre le cerveau et la circulation. La S100B devrait normalement rester dans le cerveau.

D’autres sports ont aussi été associés avec une telle augmentation identique de la S100B, notent les chercheurs, comme la boxe, faire une tête en football, courir et nager sur une longue distance. Une étude a également rapporté que les individus souffrant d’apnée du sommeil ont des niveaux élevés de S100B le matin, bien qu’une autre étude ait indiqué qu’il n’y avait pas de modifications du S100B pendant la nuit.

Références :

[1] Increased serum levels of the brain damage marker S100B after apnea in trained breath-hold divers : a study including respiratory and cardiovascular observations. J Appl Physiol (Juil 2, 2009).

A lire également