Contrairement au mythe réfuté, la raison qui fait qu’un coureur atteint ses limites n’est pas simplement parce que l’acide lactique étouffe ses muscles. Au lieu de cela, les sensations ressenties pendant qu’on coure correspondent à différentes mini crises dans le corps, et elles s’associent pour déterminer si le coureur peut maintenir son rythme.
Je ne peux pas reprendre mon souffle.
Cause : manque d’oxygène.
Quand est-ce que ça arrive : peu de temps après avoir commencé à courir.
Antidote : Faire un échauffement “d’amorçage”, y compris une course intense de courte durée.
La première répétition d’un entrainement par intervalles est toujours la plus difficile. Vous haletez à la recherche d’air, votre cœur bat frénétiquement. La répétition qui suit est un peu plus facile. Le rythme de la respiration ne chute en fait pas, c’est un peu comme si on s’adaptait. C’est la conséquence d’une inadaptation temporaire entre l’oxygène dont les jambes ont besoin et l’oxygène que le cœur et les poumons sont capables de délivrer.
Quand on commence à courir, les besoins immédiats des muscles en oxygène s’élèvent brutalement, mais le temps que cela prend pour que le reste du corps réagisse est dicté par la “cinétique d’oxygène”, ou le temps de réponse. Ce déficit en oxygène déclenche alors des signaux qui accélèrent la respiration et le rythme cardiaque, dilatent les vaisseaux sanguins et activent les enzymes traitant l’oxygène dans les muscles eux-mêmes. En conséquence, dans les deux ou trois minutes, vos muscles ont assez d’oxygène.
Cette carence temporaire en oxygène a cependant des implications durables. Pour combler l’insuffisance en énergie, les muscles puisent dans leurs précieux stocks de carburant anaérobique (sans oxygène). Ceci produit des dérivés métaboliques qui provoquent une sensation de fatigue musculaire, et qui laissent sans énergie, pour le sprint anaérobique à la fin de la course. Ce qu’on brûle dans les premières minutes ne se réapprovisionnera pas à moins de ralentir le rythme.
Pour lutter contre le déficit en oxygène, des chercheurs étudient une approche appelée “l’amorçage”, qui déclenche cette fatigue de la première répétition pour l’évacuer avant la course. Par exemple, dix à 20 minutes avant le départ, ils ajoutent une course intense et soutenue de 45 à 60 secondes dans l’échauffement. Cette “course amorce” va activer les enzymes et dilater les vaisseaux sanguins, tout en permettant au coureur de suffisamment récupérer avant que l’épreuve démarre.
Je cours plus fort, mais je n’arrive pas à aller plus vite.
Cause : recrutement inefficace des fibres musculaires.
Quand est-ce que ça arrive : lors d’efforts soutenus modérés comme pendant une course de 10 km jusqu’au semi-marathon.
Antidote : Entrainer les fibres à contraction rapide pour être plus efficace.
Les premiers kilomètres d’un semi-marathon semblent souvent plutôt faciles. On ne court pas encore suffisamment vite pour accumuler beaucoup de lactate et autres métabolites ; et contrairement à un marathon, on ne court pas assez loin pour vider les stocks. Alors pourquoi est-ce que ça peut devenir difficile ?
Selon les études de l’Université de Copenhague, cela dépend encore de la cinétique de l’oxygène. Pendant la course à un rythme équivalent à celui d’un semi-marathon ou plus, la quantité d’énergie (et donc d’oxygène) nécessaire pour conserver ce rythme augmente graduellement. Sur une durée de 10 ou 20 minutes, la consommation d’oxygène peut dériver vers le haut jusqu’à 25 %, ce qui rend plus difficile de tenir le rythme.
Cette augmentation est le résultat d’un glissement vers des fibres musculaires moins efficaces. Quand on commence à courir, on recrute automatiquement principalement des fibres musculaires à contraction lente, qui sont faites pour la course longue distance car elles sont efficaces et sont plus longues à fatiguer. Quand le temps passe cependant, les fibres individuelles commencent à fatiguer et manquent de carburant. Pour les remplacer, le cerveau doit recruter des fibres à contraction rapide, qui demandent plus d’énergie et d’oxygène pour le même rendement.
L’un des moyens de s’attaquer à ce problème est d’entrainer les fibres à contraction rapide, qui sont habituellement déployées pour les mouvements explosifs, afin qu’elles soient plus efficaces. Ce peut être l’une des raisons expliquant pourquoi les longues courses sont si importantes pour les marathoniens. Une course de 2h30, même à un rythme lent, va éventuellement épuiser les fibres à contraction lente et forcer celles à contraction rapide à s’entrainer pour délivrer une puissance lente et régulière. En réaction, elles construisent de l’endurance en accroissant le contenu mitochondrial et en ajoutant des capillaires pour fournir plus de sang.
Mes jambes sont en feu !
Cause : accumulation de métabolites dans les muscles qui provoquent des signaux en direction du cerveau.
Quand est-ce que ça arrive : courses de 5 km, poussées rapides ou sprint final.
Antidote : entrainement court et par intervalles rapides.
Imaginez la terrible et pénible sensation musculaire d’un entrainement par intervalles difficile qui se concentre entièrement dans votre pouce. C’est la sensation bizarre que 10 volontaires ont vécu dans un laboratoire de l’Université de l’Utah, quand une équipe de recherche a injecté un cocktail de métabolites, qui sont les dérivés chimiques qui se constituent dans les muscles pendant un effort intense, dans leurs pouces. Les résultats étaient profonds, ils ont créé des sensations de fatigue chez des sujets qui ne bougeaient pas un muscle.
Pendant des décennies, les scientifiques et les athlètes ont évoqué la “combustion de l’acide lactique” provoquée par l’exercice intense. Quand on court à un rythme effréné, on atteint un point où le système énergétique aérobique – l’alimentation en carburant ultra efficace qui repose sur l’oxygène délivrée par le cœur et les poumons – ne peut fournir de l’énergie assez vite aux muscles. Le corps se tourne alors vers des sources d’énergie anaérobiques (sans oxygène), qui fournissent l’énergie demandée mais qui produisent aussi des métabolites qui se développent dans les muscles. L’une de ces métabolites est en effet le lactate (une molécule qui est intimement liée à l’acide lactique). Mais malgré sa mauvaise réputation, le lactate en soi ne vous fatigue pas.
Les chercheurs ont essayé d’injecter trois métabolites différents à leurs volontaires : du lactate, des protons qui rendent les muscles plus acides, et de l’adénosine triphosphate qui est une forme de carburant cellulaire. Quand les éléments chimiques ont été injectés seuls ou par paires, il ne se passait rien. Mais quand ils étaient injectés tous les trois ensembles, les sujets ont rapporté des sensations de “fatigue” et de “lourdeur” dans leurs pouces, bien qu’ils aient été assis. Puis, les chercheurs ont injecté plus de métabolites qui correspondaient à de l’exercice “à fond”, les sensations sont passées à “douloureuses” et “chaudes” – la supposée combustion lactique dans un tube à essai.
Les résultats ont montré que, quelle que soit la sensation, les muscles ne sont pas dissous par l’acide lactique. C’est seulement quand des récepteurs spéciaux dans les muscles des jambes détectent une combinaison particulière de métabolites, qu’ils déclenchent un signal d’alarme qui se déplace le long de la moelle épinière, et que le cerveau interprète comme une sensation de brûlure. La solution ? Entrainer les récepteurs à être un peu moins sensibles en les déclenchant à plusieurs reprises à l’entrainement. La première fois que vous faites des séances par intervalles après la saison basse, vous pensez que vous allez mourir. Mais après un ou deux entrainements, on se sent rapidement mieux.
Je peux difficilement lever mes jambes !
Cause : accumulation de métabolites qui entrave la contraction des muscles.
Quand est-ce que ça arrive : vers la fin des courses difficiles.
Antidote : adopter un rythme prudent.
Nous savons que la “combustion lactique” n’est qu’une sensation dans le cerveau déclenchée par les capteurs nerveux dans les muscles. Est-ce que cela veut dire que les muscles eux-mêmes peuvent continuer indéfiniment si l’on ignore d’une manière ou d’une autre ces signaux ? Pour le savoir, des chercheurs ont injecté un bloc nerveux appelé “fentanyl” dans la moelle épinière de volontaires, pour empêcher les signaux de voyager depuis les muscles des jambes jusqu’au cerveau, et ils leur ont demandé de pédaler 5 km aussi vite qu’ils le pouvaient sur un vélo stationnaire.
Les résultats étaient spectaculaires. Quand le premier sujet a terminé et a tenté de descendre du vélo, il est pratiquement tombé par terre avant que les chercheurs le rattrapent. Tous les autres sujets ont dû être aidés pour descendre du vélo. Certains d’entre eux ne pouvaient pas décoller leurs pieds des pédales, et aucun n’a été capable de marcher. Ils ont tous eu le cadeau que tout cycliste rêve d’avoir : la capacité de pousser aussi dur qu’ils le voulaient sans ressentir de douleur ni de fatigue, mais ils en ont ensuite payé le prix, avec des muscles qui ont cessé de fonctionner.
Pourtant, malgré ce statut surhumain temporaire, les sujets n’ont pas pédalé plus vite que quand ils ont reçu une injection placébo. Ils se sentaient toujours bien au début, ils volaient, mais les chercheurs savaient qu’ils allaient s’effondrer. À la moitié de l’épreuve, les cyclistes se sentaient toujours bien, mais ils ont commencé à se sentir bizarre parce que leurs jambes ne répondaient plus aux commandes envoyées par leurs cerveaux. Quel que soit l’avantage gagné grâce à leur départ en trombe, il a rapidement disparu quand leurs jambes ont cessé de répondre.
Dans ce cas, la fatigue était réellement dans les muscles plutôt que dans le cerveau. Sans signaux d’alerte dans le cerveau, des métabolites comme les protons et les ions de phosphate s’accumulent bien au-delà des niveaux qui interfèrent directement avec la capacité des fibres musculaires à se contracter. En d’autres termes, la fatigue produite par les métabolites n’est pas que dans la tête. Au lieu de cela, le sportif ressent un mélange de fatigue “centrale” (dans le cerveau) et “périphérique” (dans les muscles) pendant des épreuves difficiles et épuisantes. Si on se pousse trop dur au début d’une course, on découvrira combien ces limites périphériques sont réelles.
J’abandonne !
Cause : surcharge d’effort.
Quand est-ce que ça arrive : à tout moment quand on atteint ses limites.
Antidote : entrainer son cerveau.
Ca fait trop mal. C’est la façon la plus simple d’expliquer pourquoi on ne peut plus pousser un petit peu plus dans les derniers kilomètres. Mais cette explication n’est pas la bonne. La douleur, cette sensation qui vous fait dire “aïe !”, n’est pas ce qui se cache derrière. Quand des chercheurs de l’université du Kent ont fait passer un courant électrique à travers le cerveau de volontaires pour atténuer leur sensation de douleur, en utilisant une technique connue comme étant la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS), cela n’a pas amélioré la façon dont les sujets se sentaient pendant l’exercice, ni leur performance sur un vélo stationnaire sur lequel ils pédalaient jusqu’à épuisement.
Selon le Dr Samuele Marcora, auteur de l’étude du Kent, ce qui importe ici c’est l’effort : la lutte pour continuer contre un désir qui va croissant de stopper. Toutes les autres formes de fatigue, le déficit en oxygène, l’accumulation de métabolites, la transpiration et la chaleur, la déshydratation, les dommages musculaires, l’épuisement du carburant, etc., contribuent à ce sentiment général de difficulté de maintenir le rythme ou la vitesse. L’effort, en d’autres termes, combine tous les différents signaux de la fatigue qui émanent de chaque coin du corps, et le moment de vérité dans toute course correspond à l’effort maximum.
Les coureurs passent la plupart de leur temps d’entrainement à essayer de rendre leurs muscles, cœurs et poumons plus forts et plus efficaces. Mais la théorie de Marcora suggère que le fait de modifier le sens subjectif de l’effort est une autre manière d’aller plus vite. Les études ont réussi à altérer l’effort, et l’endurance, en utilisant des techniques telles que des messages subliminaux (flash de visages souriants pendant une fraction de seconde), une stimulation cérébrale électrique (avec des électrodes positionnés pour modifier la perception de l’effort plutôt que la douleur), l’autosuggestion (se sentir bien) et l’entrainement du cerveau à l’endurance (des tâches informatiques complétées tout en pédalant sur un vélo stationnaire).
La grande question reste cependant sans réponse : qu’est-ce que l’effort ? Est-ce un état psychologique ? Est-ce la sensation tactile des muscles qui se contractent ? Ou bien est-ce notre sentiment général de la difficulté à maintenir un rythme de course ? Nous avons appris beaucoup de choses sur ce qui se passe dans le corps quand nous courons, et avons trouvé des explications sur les nombreuses sensations ressenties et les limites rencontrées. La prochaine étape viendra d’une meilleure compréhension du cerveau.