Les parieurs compulsifs ne sont pas nécessairement plus cupides que le reste de la population, leurs cerveaux doivent seulement être connectés pour favoriser l’argent sur le sexe. C’est la conclusion à laquelle est parvenue une étude présentée lors de la conférence de la Société pour la Neuroscience [1]. Cette tendance à prioriser l’argent sur les désirs les plus basiques ressemble à d’autres addictions comme l’alcoolisme, disent les chercheurs, et elle pourrait être prise en charge par de nouvelles thérapies.
Sur les millions de gens qui parient pour le plaisir, environ 1 à 2% peuvent être qualifiés de parieurs pathologiques. Ils ne peuvent pas arrêter bien qu’ils vivent des conséquences négatives sérieuses : endettement, relations dégradées avec leur entourage et voire même démolition de machines à sous et arrestations quand leur habitude est hors de contrôle. Cette incapacité à s’arrêter, même après des pertes colossales, est l’une des raisons qui fait que le jeu est récemment devenu l’une des addictions comportementales reconnues par le manuel diagnostique DSM-5. Car après tout, les joueurs professionnels de poker peuvent jouer jusqu’à 10 heures par jour sans qu’ils soient considérés comme des drogués, du moins tant qu’ils peuvent s’arrêter quand leur chance a tourné.
Les chercheurs ont fait l’hypothèse que les fondements de l’addiction aux jeux d’argent pourraient être l’hypersensibilité aux états d’euphories produits par les gains d’argent, causées par des connexions dysfonctionnelles dans les circuits neuraux qui traitent la récompense. Les études ont produit des résultats pourtant contradictoires, ainsi Sescousse a décidé d’étudier une hypothèse différente. Il s’est demandé si au lieu d’être trop sensible à la récompense monétaire, les joueurs compulsifs n’étaient pas plutôt moins sensibles aux autres sortes de récompenses, comme l’alcool et le sexe.
Pour rester cette idée, l’équipe de chercheurs a recruté 18 parieurs pathologiques masculins. Ils ont aussi recruté 20 individus non joueurs pathologiques. Après être passés par des évaluations pour établir dans quelle mesure ils pariaient, les volontaires se sont installés dans un scanner IRM pour enregistrer l’activité de leur cerveau pendant une tâche qui exigeait de pousser un bouton aussi rapidement que possible pour gagner de l’argent, ou pour voir des photos de femmes sexy. Plus les participants appuyaient rapidement sur le bouton, plus ils étaient motivés pour obtenir une récompense. Ce paradigme expérimental était plus objectif qu’un questionnaire, et il avait été testé de manière plus large sur des modèles humains et animaux.
Avant de réaliser cette tâche, la majorité des parieurs avaient rapporté qu’ils valorisaient autant l’argent que le sexe. Pourtant, leurs résultats ont montré une tendance inconsciente en direction de l’argent. Leurs temps de réaction, quand ils essayaient de gagner de l’argent, était plus rapide de 4% que quand ils essayaient de visualiser une photo érotique, un effet qui “pourrait semblait infime, mais qui est en réalité hautement significatif” dans ce type de recherche, déclare le chercheur.
Pendant que les participants réalisaient leur tâche, les chercheurs analysaient les réactions de leur cerveau sur l’IRM, qui analysait les flux de sang comme mesure de l’activité cérébrale. Ils ont découvert que les parieurs avaient beaucoup diminué les réactions aux images érotiques par rapport aux images monétaires dans le striatum ventral, une aire du cerveau qui traite la récompense. La différence de réaction était beaucoup plus faible chez les sujets de contrôle, qui n’étaient pas des joueurs compulsifs.
Ensuite, les chercheurs ont analysé l’activité cérébrale des participants dans une autre région clé du cerveau impliquée dans le processus de la récompense, le cortex orbito-frontal. Les études précédentes, sur des personnes en bonne santé, avaient remarqué que différentes parties du cortex orbito-frontal réagissaient aux stimuli érotiques et monétaires, une division dont ils pensaient qu’elle reflétait une dissociation entre les récompenses innées comme l’alimentation et le sexe, qui sont fondamentales pour la survie, et des récompenses secondaires comme l’argent et le pouvoir, que nous devons apprendre à valoriser.
Chez les parieurs compulsifs, la même région du cerveau, qui ne s’active normalement qu’en réaction au sexe, a été activée quand les participants regardaient des signaux monétaires, ce qui suggère qu’ils interprétaient l’argent comme une récompense primaire. Les thérapies cognitives qui augmentent la sensibilité aux récompenses non monétaires et modifient la façon dont les joueurs considèrent l’argent, par exemple en y pensant comme un outil plutôt que comme une récompense en soi, pourraient aider à traiter cette déformation, explique le scientifique.
Il est possible que la sensibilité des parieurs aux activités de récompense comme le sexe puisse être si étouffée que les jeux d’argent soient la seule chose qui leur apporte encore du plaisir. Peut-être est-ce même tout ce qui leur reste, conclut un scientifique.
Références :
[1] Processing of primary and secondary rewards : A quantitative meta-analysis and review of human functional neuroimaging studies. Guillaume Sescousse, Xavier Caldú, Bàrbara Segura, Jean-Claude Dreher. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 2013.