Tous les ans à la même époque, le printemps apporte son lot d’examens, brevet des collègues, bac, partiels, etc. les cerveaux et la matière grise s’échauffent et sont mis à rude épreuve. Pendant plusieurs heures, la concentration intellectuelle est de rigueur, mobilisant toute l’énergie requise pour l’obtention du diplôme tant désiré. Certains sortiront de ces épreuves épuisés, mais pas à cause d’une activité physique intense.

L’épuisement mental temporaire est un phénomène réel et fréquent, qui est tout à fait différent de la fatigue mentale chronique associée à une privation régulière de sommeil et à certains troubles médicaux. La fatigue mentale de tous les jours est intuitivement acceptée. Assurément, la pensée complexe et une concentration intense nécessitent plus d’énergie que les traitements intellectuels routiniers. Tout comme l’exercice physique intense fatigue notre corps, l’effort intellectuel pourrait assécher le cerveau. Cependant, les dernières données scientifiques révèlent que la notion populaire de l’épuisement mental est trop simpliste. Le cerveau absorbe continuellement de grandes quantité d’énergie pour un organe de sa taille, et ce quelque soit les calculs d’intégrales que nous faisons ou que nous regardions une vidéo sur internet.

Bien que les neurones en suractivité convoquent plus de sang, d’oxygène et de glucose, toutes les augmentations locales de consommation d’énergie sont faibles comparées à la gourmande consommation de base du cerveau. Ainsi, dans la plupart des cas, de courtes périodes d’effort intellectuel supplémentaires exigent un tout petit peu plus de puissance cérébrale que d’habitude, mais pas plus. La plupart des expériences en laboratoire n’ont cependant pas soumis les sujets à plusieurs heures d’acrobaties intellectuelles stimulantes. Et quelque-chose doit expliquer ce sentiment d’épuisement mental, même si sa physiologie diffère de la fatigue physique. Le simple fait de croire que nos cerveaux ont fourni beaucoup d’efforts pourrait même suffire à nous rendre léthargiques.

Le pouvoir mental

Bien que le cerveau d’un adulte humain moyen pèse environ 1,4 kilogramme, soit seulement 2% du poids de corps total, il nécessite 20% de notre métabolisme de base au repos – la quantité d’énergie totale que nos corps dépensent dans l’une de ces journées de farniente sans activité physique. Le métabolisme de base au repos varie d’une personne à une autre, en fonction de son âge, de son sexe, de sa taille et de sa santé [1]. Si l’on suppose un métabolisme de base moyen de 1300 calories, alors le cerveau consomme 260 de ces calories seulement pour que tout fonctionne normalement. C’est 10,8 calories chaque heure, ou 0,18 calories par minute. Avec un peu de mathématiques, il est facile de convertir ce nombre en mesure de la puissance :

 Taux métabolique de base au repos : 1300 kilocalories, ou kcal, chiffre de base utilisé en nutrition,

 1300 kcal sur 24 heures = 54,16 kcal par heure = 15,04 grammes de calories par seconde,

 15,04 grammes de calories/seconde = 62,93 joules/seconde = environ 63 watts,

 20% de 63 watts = 12,6 watts.

Ainsi, un adulte humain typique consomme environ 12 watts, un cinquième de la puissance exigée par une ampoule classique de 60 watts. Comparé à la plupart des autres organes, le cerveau est gourmand ; mais comparé aux produits électroniques fabriqués de main d’homme, il est incroyablement efficace. Comme par exemple par rapport à l’ordinateur IBM Watson qui avait battu des champions de Jeopardy !, avec ses 90 serveurs dont chacun pompait environ mille watts !

L’énergie voyage vers le cerveau via les vaisseaux sanguins sous forme de glucose, qui est transporté à travers la barrière cérébrale et utilisé pour produire de l’adénosine triphosphate (ATP), la “monnaie” principale de l’énergie chimique dans les cellules. Des expériences sur des animaux et des hommes ont confirmé que quand les neurones d’une région particulière du cerveau s’activent, les capillaires locaux se dilatent pour délivrer plus de sang que d’habitude, ainsi que plus d’oxygène et de glucose [2] Cette réaction mécanique rend possible les images magnétiques, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) repose sur ces propriétés magnétiques uniques du sang qui afflue vers des neurones en activité. La recherche a aussi confirmé qu’une fois que les vaisseaux sanguins dilatés ont délivré du glucose supplémentaire, les cellules cérébrales en font un festin [3].

En élargissant la logique de ces résultats, certains scientifiques ont proposé la chose suivante : si les neurones en activité exigent plus de glucose, alors des tâches intellectuelles particulièrement stimulantes devraient faire baisser les niveaux de glucose dans le sang et, de façon analogue, manger des aliments riches en sucre devrait améliorer la performance sur de telles tâches.

Bien que peu d’études aient confirmé ces prédictions, les éléments de preuve de manière générale sont contradictoires et la plupart des changements des niveaux de glucose vont de minuscule à très faible. Dans une étude de l’Université Northumbrie par exemple, des volontaires qui ont réalisé une série de tâches verbales et non verbales ont montré une chute plus grande du glucose sanguin que ceux qui ne faisaient que d’appuyer à plusieurs reprises sur une touche.

Dans la même étude [4] une boisson sucrée a amélioré la performance dans l’une des tâches, mais pas dans les autres. À l’Université John Moores de Liverpool, des volontaires ont réalisé deux versions de la tâche Stroop [5] dans laquelle ils devaient identifier la couleur de l’encre dans laquelle un mot était imprimé, plutôt que de lire le mot lui-même (voir un exemple en bas de page ici) : dans une version, les mots et les couleurs correspondaient – BLEU apparaissait en encre bleue, dans l’autre version, le mot BLEU apparaissait en vert ou en rouge. Les volontaires qui ont réalisé la tâche la plus stimulante intellectuellement ont affiché de plus grandes baisses de glucose dans le sang, ce que les chercheurs ont interprété comme une cause directe d’un effort mental plus important. Le fait de compliquer la situation est important, certaines études ont trouvé que quand les gens ne sont pas très doués dans une tâche particulière, ils exercent un effort mental plus grand et utilisent plus de glucose, tandis qu’au moins une étude suggère le contraire [6], c’est-à-dire que plus vous êtes habile dans une tâche, plus votre cerveau est efficace et moins vous avez besoin de glucose.

Pas si simples les sucres

Des résultats non satisfaisants et contradictoires d’études sur le glucose mettent en relief le fait que la consommation d’énergie dans le cerveau n’est pas qu’une simple affaire d’effort mental plus important qui pomperait plus de l’énergie disponible dans le corps. Claude Messier de l’Université d’Ottawa a passé en revue de telles études [7]. Il n’est toujours pas convaincu que toute tâche cognitive change de façon mesurable les niveaux de glucose dans le cerveau ou le sang. “En théorie, oui, une tâche plus difficile exige plus d’énergie parce qu’il y a plus d’activité neurale” dit-il, ” mais quand les gens font une tâche mentale, vous ne verrez pas de grande augmentation de la consommation de glucose sous la forme de pourcentage élevé du taux général.

Le niveau de base est toujours beaucoup d’énergie, même pendant un sommeil sans rêve avec très peu d’activité, il y a toujours une consommation minimum élevée de glucose. La plupart des organes n’exige pas tant d’énergie pour leur entretien basique. Mais le cerveau doit activement maintenir des concentrations appropriées de particules chargées de part et d’autres des membranes de milliards de neurones, même quand ces cellules ne sont pas en activité. À cause de cette maintenance coûteuse et continue, le cerveau a habituellement l’énergie dont il a besoin pour un petit travail supplémentaire.

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Les auteurs d’autres articles scientifiques sont parvenus à des conclusions similaires. Robert Kurzban de l’Université de Pennsylvanie évoque des études qui montrent que l’exercice modéré améliore la capacité des individus à se concentrer [8]. Dans une étude [9] par exemple, des enfants qui marchaient pendant 20 minutes sur un tapis de course réussissaient mieux dans un test d’examen que des enfants qui lisaient tranquillement avant l’examen. Si l’effort intellectuel et l’aptitude étaient une simple histoire de glucose disponible, alors les enfants qui font de l’exercice, et qui brûlent donc plus d’énergie, devraient avoir moins bien réussi que leurs homologues restés bien tranquilles.

L’influence de la difficulté d’une tâche mentale sur la consommation d’énergie semble être très subtile et dépend probablement de la variation de l’individu dans l’effort exigé, de son engagement et des ressources disponibles, qui pourraient être associés à des variables telles que l’âge, la personnalité et la régulation du glucose, d’après Leigh Gibson dans une revue sur les hydrates de carbones et la fonction mentale [10].

Gibson et Messier ont tous deux conclu que quand quelqu’un a des problèmes pour correctement réguler son glucose, ou a jeûné pendant longtemps, une boisson ou un aliment sucré peuvent améliorer sa performance sur certains types de tâches de mémorisation. Mais pour la plupart des gens, le corps fournit facilement le petit supplément de glucose dont a besoin le cerveau pour un effort intellectuel supplémentaire.

Corps et esprit

Si des tâches cognitivement stimulantes consomment seulement un petit plus de carburant qu’habituellement, qu’est-ce qui explique le sentiment d’épuisement mental qui suit ce genre de tâches, ou un marathon mental tout aussi épuisant ? L’une des réponses est que le fait de conserver une concentration ininterrompue, ou de naviguer en territoire intellectuel pendant plusieurs heures, consomme réellement assez d’énergie pour laisser quelqu’un se sentir vidé, mais les chercheurs n’ont pas confirmé cela parce qu’ils n’ont tout simplement pas été suffisamment durs avec leurs volontaires. Dans la plupart des expériences, les participants réalisaient une seule tâche de difficulté modérée, rarement plus d’une heure ou deux. “Peut-être que si nous les avions poussés plus durement, et fait faire aux sujets des choses pour lesquelles ils ne sont pas bons, nous aurions pu avoir des résultats plus évidents” dit Messier.

Aussi important que la durée de l’effort intellectuel est l’attitude que l’on a vis-à-vis de cet effort. Regarder un film ou une pièce captivant avec une intrigue complexe excite différentes aires du cerveau pendant deux bonnes heures, pourtant les spectateurs ne ressortent pas du cinéma ou du théâtre en se plaignant de fatigue mentale. Certaines personnes se plongent dans la lecture de romans assez denses que d’autres pourraient jeter à travers la pièce de déception. Compléter un Sudoku ou des mots croisés complexes un dimanche matin ne ruine pas la capacité de tout un chacun de se concentrer le reste de la journée, en fait, certains affirment même que cela aiguise leur état mental. En résumé, les personnes prennent habituellement du plaisir dans les activités revigorantes sans souffrir d’épuisement mental.

Une telle fatigue semble plus susceptible de suivre un effort mental soutenu que nous ne faisons pas par plaisir, comme un examen obligatoire, spécialement quand nous nous attendons à ce que l’épreuve vide notre cerveau. Si nous pensons qu’un examen ou un casse-tête sera difficile, il le sera souvent. Des études ont montré que quelque-chose d’identique survient quand les gens font de l’exercice ou du sport : une large composante de l’épuisement physique est dans notre tête [11]. Dans une recherche apparentée, des volontaires qui ont fait du vélo après un test informatique de 90 minutes exigeant une attention soutenue ont arrêté de pédaler, épuisés, plus tôt que les participants qui avaient regardé des documentaires émotionnellement neutres avant l’exercice. Même si le test d’attention ne consommait pas beaucoup plus d’énergie que de regarder des films, les volontaires ont rapporté se sentir moins énergiques. Ce sentiment était suffisamment puissant pour limiter leur performance physique [12].

Dans le cas précis des examens, quelque-chose qui va au-delà de l’effort intellectuel pur est susceptible de contribuer à l’engourdissement de la sortie d’épreuve : le stress. Après tout, le cerveau ne fonctionne pas dans le vide. D’autres organes consomment aussi de l’énergie. Passer un examen qui déterminera partiellement ce qu’on fera les quatre années à venir est assez angoissant pour envoyer des hormones du stress à travers le flux sanguin, ce qui cause transpiration, augmentation du rythme cardiaque et favorise l’impatience et toutes sortes de postures du corps. Les examens et les autres tests importants ne sont pas seulement source de tension mentale, ils sont aussi physiquement épuisants.

Un petite étude révélatrice [13] suggère que même un défi intellectuel légèrement stressant modifie notre état émotionnel et notre comportement, même s’il n’altère pas profondément le métabolisme cérébral. Quatorze étudiantes soit restaient assises, résumaient un passage d’un texte ou complétaient une série de tests informatiques exigeant de l’attention et de la mémoire pendant 45 minutes, avant de festoyer à un buffet. Les étudiantes qui avaient exercé leurs cerveaux ont avalé environ 200 calories de plus que les étudiantes qui s’étaient relaxées.

Leurs niveaux de glucose dans le sang fluctuaient aussi plus que ceux des étudiantes qui ne faisaient que rester assis, mais pas de façon trop conséquente. Les niveaux de l’hormone du stress cortisol étaient cependant beaucoup plus élevés chez les étudiantes dont les cerveaux étaient affairés, tout comme leurs rythmes cardiaques, tensions artérielles et anxiété. Vraisemblablement, ces étudiantes ne mangeaient pas parce que leurs cerveaux fatigués avaient désespérément besoin de plus de carburant, mais plutôt parce qu’elles étaient pressées de manger.

Messier a relaté une explication de la fatigue mental de tous les jours : “mon hypothèse générale est que le cerveau est un fainéant” dit-il. “Le cerveau a du mal à rester concentré sur une seule chose trop longtemps. Il est possible qu’une concentration soutenue crée certains changements dans le cerveau qui favorisent l’évitement de cet état. Ce pourrait être comme une minuterie qui dirait : ’bon, c’est fini maintenant’. Peut-être que le cerveau n’aime tout simplement pas travailler si durement pendant une durée si longue.”

Références :

[1] Resting metabolic rate is lower in women than in men. P. J. Arciero, M. I. Goran, E. T. Poehlman, Journal of Applied Physiology, 1993 vol. 75 no. 6 2514-2520.

[2] Cerebral metabolic effects of a verbal fluency test : a PET scan study. J Clin Exp Neuropsychol. 1988 Oct ;10(5):565-75.

[3] Human brain glucose metabolism may evolve during activation : Findings from a modified FDG PET paradigm. NeuroImage, Volume 33, Issue 4, Dec 2006, pp 1036–1041.

[4] Cognitive demand and blood glucose. Physiol Behav. 2001 Jul ;73(4):585-92.

[5] A metabolic measure of mental effort. Biol Psychol. 2004 Apr ;66(2):177-90.

[6] Evaluation of a “mental effort” hypothesis for correlations between cortical metabolism and intelligence. Intelligence, Volume 21, Issue 3, Nov–Dec 1995, pp 267–278.

[7] Glucose improvement of memory : a review. European Journal of Pharmacology, Volume 490, Issues 1–3, 19 Avril 2004, pp 33–57.

[8] Effects of acute bouts of exercise on cognition. Acta Psychol (Amst). 2003 Mar ;112(3):297-324.

[9] The effect of acute treadmill walking on cognitive control and academic achievement in preadolescent children. Neuroscience. 2009 Mar 31 ;159(3):1044-54. Epub 2009 Fev 3.

[10] Carbohydrates and mental function : feeding or impeding the brain ? E. L. Gibson, Nutrition Bulletin, Volume 32, Issue Supplement s1, pp 71–83, 2007.

[11] Carbohydrate sensing in the human mouth : effects on exercise performance and brain activity. J Physiol. 2009 Apr 15 ;587(Pt 8):1779-94. Epub 2009 Feb 23.

[12] Mental fatigue impairs physical performance in humans. Journal of Applied Physiology, 2009, vol. 106, no. 3 857-864.

[13] Glycemic instability and spontaneous energy intake : association with knowledge-based work. Psychosom Med. 2008 Sep ;70(7):797-804. Epub 2008 Aug 25.

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