L’idée sous-jacente aux produits probiotiques semble raisonnable au premier abord, les bactéries bienveillantes sont importantes au bon fonctionnement de notre système gastro-intestinal et de notre système immunitaire. Les produits probiotiques sont supposés compléter ces bactéries amies avec des bactéries vivantes provenant de certains aliments, comme les yaourts ou bien en capsules.
Un article récent [1] a cependant passé en revue les études sur les probiotiques chez les personnes en bonne santé, et n’a pas trouvé de preuves d’un bénéfice à la santé. Voyons de plus près cette étude et la science des probiotiques.
Cette étude systématique s’est focalisée sur les recherches qui ont cherché à analyser les modifications de la composition des bactéries dans les fèces d’adultes en bonne santé qui prenaient des produits aux probiotiques comparé à un placébo. Ils ont trouvé que :
“Sept études randomisées et contrôlées contre placebo, qui ont examiné les effets d’une prise de suppléments de probiotiques sur le microbiote fécal chez des adultes en bonne santé, ont été inclues dans cette revue systématique. La qualité des études était évaluée et allait d’une qualité moyenne à élevée. Pourtant, aucun effet n’a été observé sur la composition du microbiote fécal en terme de diversité alpha, de richesse ou de régularité dans aucune des études quand elles ont été comparées au placébo. Seule une étude a trouvé que la prise de suppléments de probiotiques a significativement modifié la structure générale de la communauté bactérienne fécale en terme de diversité béta comparée au placébo.“
La définition de la diversité alpha est la différence moyenne au sein des espèces dans une localisation spécifique, alors que la diversité bêta est la différence dans les espèces entre deux localisations différentes.
La conclusion est qu’il n’y a pas d’effet homogène parmi ces sept études. Toutes les études étaient relativement petites, entre 21 et 81 sujets, et leurs qualités générales ont été évaluées comme étant moyenne à élevée. On peut dire qu’il n’y a probablement pas d’effet cliniquement significatif étant donné ces études négatives, cependant un effet qui est trop faible pour être perçu dans des études de cette taille ne peut pas être généralisé à des études qui seraient plus grandes.
Il y a également d’autres moyens pour pister les bénéfices supposés des probiotiques, comme de regarder des résultats plus spécifiques à la santé comme le contrôle du poids, le diabète et les risques de maladies auto-immunes. Une revue systématique de 2015 sur les probiotiques pour maigrir n’a pas montré de bénéfices [2]. Cependant une autre revue de 2016 [3] a conclu qu’il y avait des preuves de faibles bénéfices, bien qu’il semblât qu’ils aient utilisé un seuil moins exigeant pour inclure leurs études.
Une revue de 2014 [4] a trouvé quelques preuves de bénéfice pour ce qui est de faire baisser la tension. Il pourrait aussi y avoir des bénéfices sur le métabolisme du glucose [5]. Cependant, cette recherche est généralement préliminaire seulement et les tailles des effets sont petites. En outre, le fait que les probiotiques ne semblent pas modifier le microbiote intestinal remet en question tout bénéfice clinique.
Le meilleur élément de preuve qui existe en faveur des probiotiques concerne la diarrhée associée aux antibiotiques. Ce qui est logique, car le problème est d’avoir trop peu de bactéries amies dans le système gastro-intestinal. Une revue récente [6] a trouvé qu’”à partir de cette revue systématique et d’une méta-analyse de 23 essais cliniques randomisés incluant 4213 patients, des preuves de qualité modérée montrent que les probiotiques sont à la fois sûrs et efficaces pour prévenir la diarrhée associée au Clostridium difficile.”
Les vendeurs de produits probiotiques sont généralement beaucoup plus optimistes concernant les effets de leurs produits. Ils font des déclarations comme “améliorent le système immunitaire, le fonctionnement de la digestion, l’absorption minérale et soignent les intestins”, ils déclarent que leurs probiotiques améliorent la santé de la peau, luttent contre l’acné et le psoriasis, éliminent le candida et les mauvaises bactéries. Ils augmenteraient la synthèse de la vitamine B12, du calcium et de la vitamine K2, aideraient la digestion de substances comme le gluten et le lactose.
Est-il donc vraiment utile de manger des bactéries pour améliorer sa santé ? La plausibilité de cette affirmation pourrait être plus compliquée que ce qu’on pensait au départ. Il semble que le microbiome existe en tant qu’écosystème stable d’environ 100 espèces de bactéries. Le fait d’avaler des bactéries supplémentaires ne semble pas impacter cet écosystème stable.
Cela ne signifie pas que ce soit impossible, mais il faudra certainement plus que de seulement manger un yaourt. Nous pourrions avoir besoin d’utiliser quelque-chose de plus radical, comme une greffe fécale. Il faut surtout greffer un autre écosystème stable. Ou nous pourrions avoir besoin de consommer des douzaines d’espèces de beaucoup de colonies pendant une période de temps prolongée.
Même si nous pouvions opérer des modifications permanentes au microbiome, on ne sait pas s’il s’agirait d’une intervention véritablement bénéfique pour la santé. Actuellement, nous avons des données qui corrèlent certains types d’environnements bactériens à certains états de santé, comme le diabète ou l’obésité, mais nous ne savons pas démêler la cause de l’effet.
Conclusion
L’état actuel de la science des probiotiques est au mieux préliminaire. Il est clair que le microbiome de l’intestin est important et qu’il s’intègre dans l’organisme dans son ensemble. Il y a des corrélations intéressantes entre les différents écosystèmes du microbiome et certains états de santé et maladies. Il y a des mécanismes plausibles par lesquels le microbiome pourrait affecter la santé.
Cependant, la recherche n’est pas encore arrivée au point qui puisse expliquer comment il est possible de modifier significativement et efficacement ce microbiome. Les études et revues les plus récentes montrent que les produits probiotiques actuels n’ont pas d’effets sur le microbiome, du moins chez les personnes en bonne santé.
C’est un domaine, comme celui des cellules souches, qui semble très prometteur, et il y a des indications préliminaires de possibles bénéfices. Pourtant, les preuves préliminaires constituent des enregistrements globalement très médiocres pour arriver à des bénéfices concrets. Il est trop tôt pour dire comment la science des probiotiques va évoluer. Peut-être que les bénéfices réels à la santé n’apparaitront que lorsque les méthodes d’investigation seront plus sophistiquées et plus agressives pour opérer des changements plus précis de l’écosystème du microbiome à long terme. Les bénéfices réels pourraient aussi n’apparaitre que grâce à des bactéries génétiquement modifiées dans le mélange, avec des propriétés spécifiquement conçues pour modifier la santé.
Le fait est qu’il y a beaucoup de battage publicitaire et médiatique sur ce sujet. Beaucoup d’espoir et de spéculation gravitent autour de l’affirmation selon laquelle le fait de manipuler le microbiome va avoir des bénéfices potentiels. La recherche n’en est pourtant qu’à un stade préliminaire et il y a énormément de faux positifs. Cette situation est favorable à l’exploitation par des compagnies pressées de vendre des compléments alimentaires sous des déclarations fallacieuses ou trop prématurées sur les bénéfices supposées des probiotiques, avant que la recherche ait définitivement montré que ces produits ont peu ou pas d’effet, ou bien que la situation est plus complexe que ce qu’on croit.
Nous en étions à ce point il y a 20 ans avec les antioxydants, et il y a 10 ans environ avec les cellules souches. C’est au tour des probiotiques, et il y aura autre-chose plus tard. Peut-être que le fait de modifier le microbiome apportera des bénéfices à la santé dans le futur, mais peut-être pas avant 10 ou 20 ans lorsque la recherche sur le sujet sera véritablement établie.
Sans doute qu’il n’est pas nécessaire ni utile de modifier le microbiome d’un individu en bonne santé. Ils peuvent déjà avoir un microbiome optimal et plus n’est pas obligatoirement meilleur.
Références :
[1] Alterations in fecal microbiota composition by probiotic supplementation in healthy adults : a systematic review of randomized controlled trials. Nadja B. Kristensen, Thomas Bryrup, Kristine H. Allin, Trine Nielsen, Tue H. Hansen, Oluf Pedersen. Genome Medicine, 20168:52.
[2] Nutr Res. 2015 Jul ;35(7):566-75. Probiotics for weight loss : a systematic review and meta-analysis.
[3] Int J Food Sci Nutr. 2015 ;67(5):571-80. Effect of probiotics on body weight and body-mass index : a systematic review and meta-analysis of randomized, controlled trials.
[4] Hypertension. 2014 Oct ;64(4):897-903. Effect of probiotics on blood pressure : a systematic review and meta-analysis of randomized, controlled trials.
[5] Medicina (Kaunas). 2016 ;52(1):28-34. Effect of probiotics on glucose metabolism in patients with type 2 diabetes mellitus : A meta-analysis of randomized controlled trials.
[6] Cochrane Database Syst Rev. 2013, 31 ;(5):CD006095. Probiotics for the prevention of Clostridium difficile-associated diarrhea in adults and children.