Une nouvelle étude explore exactement ce qui se passe au fameux seuil.
Le psychologue de Berkeley George Brooks est l’homme qu’il faut remercier pour notre compréhension actuelle sur le lactate, c’est-à-dire le point de vue selon lequel il s’agit d’un carburant de valeur pour des muscles qui travaillent dur, plutôt que juste un déchet corrosif comme on le croyait avant. Et son groupe de recherche continue à publier des études intéressantes qui tentent d’établir précisément le rôle du lactate. Sa dernière en date, publiée dans le Journal of Applied Physiology [1], analyse comment se déroule la création et la disparition des variations de lactate à proximité du seuil de lactate.
En premier lieu, étant donné que les gens ont différentes interprétations du “seuil de lactate”, voici un graphique montrant ce qu’il signifie :
L’axe horizontal montre la puissance de sortie sur un vélo stationnaire, et la concentration de lactate sur l’axe vertical. Le seuil de lactate est le point à partir duquel les niveaux de lactate commencent à augmenter plus rapidement que la ligne stable et rectiligne au-delà de ce point. On peut voir que les sujets entrainés sont capables d’envoyer plus de puissance avant d’atteindre ce point, mais la forme du graphique est relativement la même.
L’expérience a impliqué six cyclistes de compétition et six individus non entrainés en bonne santé. Les deux groupes ont fait 60 minutes de vélo au seuil de lactate, après avoir reçu des isotopes qui servaient de traceurs de leur utilisation du lactate (et autres marqueurs) ; le groupe entrainé a aussi fait une séance similaire à 10% en-dessous de ce seuil. Le principal point de l’expérience était de savoir ce qui était la cause du seuil. L’un des points de vue est que c’est le signal indiquant que les muscles ne sont plus suffisamment approvisionnés en oxygène, ainsi commencent-ils à être en position anaérobique. Le point de vue de Brook, d’un autre côté, est que c’est plus une question d’équilibre entre la production et l’élimination du lactate (pour être réutilisé sous forme de carburant). Et cette nouvelle expérience le confirme.
Premièrement, il a découvert que les sujets entrainés produisaient et réutilisaient beaucoup plus de lactate au niveau du seuil que le groupe non-entrainé. Si l’on regarde les graphiques ci-dessus, on voit lequel des deux groupes a des concentrations de lactate d’environ 4 mmol/L au niveau du seuil. Mais ne nous trompons pas : le groupe entrainé produit réellement environ 60% de lactate de plus à ce niveau, et l’élimine ou le réutilise 60% plus rapidement.
De façon intéressante, le seuil n’est pas le point où l’élimination du lactate est maximisée. L’intensité légèrement plus faible, 10% en-dessous du maximum, produisait les valeurs les plus hautes pour l’élimination du lactate, à environ 30% au-dessus du seuil. En d’autres termes, l’augmentation tranchée des niveaux de lactate au-dessus du seuil n’est pas causée parce que vous commencez brutalement à produire plus de lactate ; c’est parce que votre aptitude à éliminer le lactate ne peut plus suivre le rythme. Il y a de nombreuses raisons à cela, comme le taux auquel le lactate peut être transporté à travers les membranes des cellules, la baisse de flux sanguin (qui est le lieu où le lactate est converti en glucose), l’augmentation de l’activation du système nerveux sympathique, etc. Le point basique est que ce n’est pas qu’une simple question de manque d’oxygène.
Alors qu’en est-il de l’entrainement ? Est-ce que le fait que l’élimination maximale de lactate ait lieu sous le seuil de lactate a une signification ? Brooks écrit :
En un sens, il est intéressant de noter que dans les activités exigeant le plus d’endurance (par exemple le cross-country, le ski ou encore l’aviron) les athlètes s’entrainent principalement à des intensités situées au-dessous du seuil de lactate.
Si on essaye d’améliorer l’élimination de lactate, doit-on dans ce cas s’entrainer à une intensité où c’est déjà optimal, ou à une intensité plus haute pour l’améliorer quand elle n’est pas optimale ? Aucune approche ne semble être la meilleure. En supposant que l’on vise une même charge d’entrainement globale, il y a toujours des compromis entre l’intensité, la durée pendant laquelle on peut tenir, le temps nécessaire pour récupérer, etc. Il semble probable que des ajustements subtils de l’intensité de l’entrainement produisent des ajustements subtils dans l’adaptation, plutôt qu’un changement on/off qui s’allume quand on touche la “bonne” intensité.
Références :
[1] Lactate kinetics at the lactate threshold in trained and untrained men. Messonnier LA, Emhoff CA, Fattor JA, Horning MA, Carlson TJ, Brooks GA. J Appl Physiol. 2013.