On sait depuis des décennies que les températures basses peuvent stimuler des cellules de graisse spécialisées pour brûler de l’énergie afin de produire de la chaleur. Mais une récente étude de l’Université de San Francisco a découvert une nouvelle voie productrice de chaleur dans les cellules de graisse qui fonctionnent en brûlant le glucose sanguin en excès, ce qui peut laisser entrevoir de nouvelles approches pour traiter les troubles métaboliques comme l’obésité ou le diabète de type 2.

Ces résultats, publiés dans la revue scientifique Nature Medicine [1], représentent un glissement du paradigme dans la compréhension que les scientifiques ont de la manière dont les mammifères transforment leurs réserves de graisse en chaleur.

Tous les mammifères, y compris les êtres humains, utilisent les cellules de graisse blanche pour stocker de l’énergie, mais ils ont aussi des réserves de graisse brune qui brûle l’énergie stockée pour produire de la chaleur. Les bébés humains naissent avec de la graisse brune qui leur sert de défense naturelle contre le froid, et les animaux qui hibernent comme les ours se constituent de gros stocks de graisse brune pour la même raison. Cependant, les adultes humains n’ont habituellement pas beaucoup de graisse brune.

En 2015, le laboratoire de Kajimura a identifié un nouveau type de graisse chez les adultes humains [2] – nommée la graisse “beige” – qui se situe dans des poches à l’intérieur des tissus de graisse et qui peut convertir la graisse blanche en réaction au froid et à d’autres stress. Dans des études de suivi, les chercheurs ont montré que des souris qui avaient plus de graisse beige étaient protégées du diabète et de l’obésité causés par l’alimentation [3] en brûlant des calories qui génèrent de la chaleur, les animaux étaient plus facilement capables d’évacuer l’excès de mauvaise graisse blanche. Cependant, les mécanismes par lesquels ces cellules transformaient l’énergie en chaleur n’étaient pas connus.

“Nous avons maintenant trouvé ce nouveau chemin par lequel la graisse beige fait de la chaleur,” dit Kajimura. “Nous étions très excités non seulement pour la science, mais aussi pour le potentiel thérapeutique de cette découverte pour traiter l’obésité et le diabète de type 2.”

Il y a plus d’une façon de produire de la chaleur

Quand vous avez froid, vos muscles frissonnent pour produire de la chaleur, mais en s’exposant plus longuement à des températures froides, votre corps a besoin d’autres moyens pour vous garder au chaud.

Pendant plusieurs années, les chercheurs ont cherché à comprendre comment nos corps transformaient nos stocks d’énergie en chaleur en étudiant le fonctionnement d’une protéine appelée la protéine découplante 1 (UCP1). Cette protéine n’est présente que dans les cellules de graisse brune et beige, et elle fonctionne en redirigeant le flux d’énergie des mitochondries, les centrales énergétiques des cellules, ainsi elles produisent de la chaleur plutôt que de l’énergie biologiquement disponible.

Chez de nombreux mammifères, l’UCP1 est responsable de la production de chaleur en réaction aux besoins de l’environnement sans que les muscles frissonnent : son activité s’enflamme avec les températures froides tout comme après avoir trop mangé. Cependant, certaines espèces, comme les porcs, n’ont pas de protéine UCP1 fonctionnelle, mais sont tout de même capables de rester au chaud dans des environnements froids. C’est ce qui a poussé les chercheurs à se demander s’il n’y avait pas un autre mécanisme impliquant la capacité de la graisse brune et beige à produire de la chaleur.

Dans des études passées, l’équipe a supprimé la protéine UCP1 de souris qui avaient des niveaux de graisse beige au-delà de la normale, et ils ont trouvé que les animaux étaient toujours résistants au diabète et à l’obésité causés par l’alimentation, ce qui démontre que les effets bénéfiques de la graisse beige étaient complètement indépendants de l’UCP1. “Cela était conceptuellement très surprenant, car l’UCP1 a été la seule protéine thermogénique connue pendant plus de vingt ans,” dit Kajimura.

Les chercheurs ont trouvé un nouveau mécanisme que les cellules de graisse beige peuvent utiliser pour produire de la chaleur quand elles sont exposées à des températures froides, qui implique l’activation d’une paire de protéines appelées SERCA2b et récepteurs de la ryanodine 2 (RyR2).

Normalement, ces protéines sont responsables du contrôle de la disponibilité du calcium, un ion essentiel dans les cellules adipeuses. Quand les niveaux de calcium sont trop élevés, la protéine SERCA2b peut utiliser de l’énergie pour pomper le surplus de calcium dans les sites de stockage à l’intérieur des cellules. Puis, quand le niveau de calcium dans les cellules a baissé, RyR2 agit comme une valve pour libérer certaines de ces réserves de calcium stocké. Mais dans des conditions froides, l’équipe de chercheurs a trouvé que les cellules peuvent activer les deux protéines en même temps. C’est comme de relancer un moteur de voiture en envoyant les gaz et en freinant en même temps, la principale conséquence est de générer beaucoup de chaleur et de consommer beaucoup de carburant – ici le glucose.

Les chercheurs ont trouvé que ce processus peut brûler tellement de glucose que le fait de ralentir l’activité de SERCA2b dans les cellules de graisse beige de souris a impacté toute l’utilisation du glucose dans le corps, laissant entrevoir des applications potentielles dans la prévention du diabète de type 2, dont on pense qu’il est déclenché en partie par des niveaux élevés de glucose dans le sang sur le long terme.

“Nous avons découvert que la graisse beige brûle le glucose en utilisant la protéine SERCA2b, et cela explique beaucoup de choses,” dit Kajimura. “Cela explique pourquoi les souris devenaient diabétiques quand nous avons réduit la graisse beige, mais que le fait de perturber la protéine UCP1 ne causait pas de diabète, c’est pourquoi les souris sont protégées contre le diabète en présence de plus de graisse beige.”

Un mécanisme évolutionniste conservé

Les expériences faites sur des cellules isolées de graisse beige de porcs et d’êtres humains en laboratoire ont montré que la souris n’est pas la seule à utiliser la protéine SERCA2b pour convertir le glucose en trop en chaleur, bien qu’on ne sait pas encore vraiment si c’est ce mécanisme ou bien la thermogenèse reposant sur UCB1 qui domine dans la graisse beige des humains.

La découverte que la graisse beige a plus d’un mécanisme pour faire face au froid est sensée du point de vue de l’évolution : “la thermorégulation est si importante pour la vie qu’il doit y avoir plusieurs mécanismes, comme chez les porcs qui n’ont pas de protéine UCP1 fonctionnelle,” expliquent les scientifiques.

D’ailleurs, il y a une maladie chez les êtres humains appelée l’hyperthermie maligne, dans laquelle des mutations dans les gênes récepteurs de la ryanodine 1 – la forme de récepteurs de la ryanodine utilisée dans les muscles – qui cause une hyperthermie dans les muscles, ce qui montre qu’un mécanisme associé pourrait être impliqué.

Les chercheurs sont donc très excités à l’idée de pouvoir utiliser des médicaments – voire des suppléments nutritionnels – pour activer la protéine SERCA2b dans la graisse beige dans l’espoir que cela améliore la capacité du corps à utiliser le glucose chez les patients avec un diabète de type 2 ou obèses, ainsi que pour aider les patients souffrant de maladies comme l’hyperthermie maligne qui perturbe la régulation normale de la température.

Par exemple, on sait que le fait de manger du gingembre réchauffe le corps, dit Kajimura, mais le mécanisme est mal compris. Il y aurait des éléments de preuve qui suggèrent que le gingérol, ou l’extrait de gingembre, active les protéines SERCA, ce qui pourrait représenter des opportunités futures intéressantes pour les scientifiques qui testeraient le gingérol comme un moyen de stimuler la graisse beige pour brûler plus de calories.

Références :

[1] UCP1-independent signaling involving SERCA2b-mediated calcium cycling regulates beige fat thermogenesis and systemic glucose homeostasis. Nature Medicine.

[2] Genetic and functional characterization of clonally derived adult human brown adipocytes. Nature Medicine.

[3] Phosphoproteomics Identifies CK2 as a Negative Regulator of Beige Adipocyte Thermogenesis and Energy Expenditure. Cell Metabolism, 2015.

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