Une nouvelle recherche montre que loin de nous protéger, les compléments alimentaires aux antioxydants, comme la vitamineC et E, pourraient en fait augmenter les chances de développer un cancer [1].

Depuis 15 ans, vous êtes au fait du monde des antioxydants. Ces derniers temps, avec cette foison de magazines pullulant d’articles sur le sujet des antioxydants, vous êtes presque devenu un expert sur le sujet. Chaque fois que vous en lisez un, que vous allumez la télévision ou allez au supermarché, vous êtes bombardés des déclarations à propos de la capacité de ces éléments chimiques, prétendument miraculeux, qui empêchent les maladies les plus sérieuses, et nous permettraient de vivre plus longtemps.

Il résulte de tout ce battage médiatique que les plus inquiets d’entre nous font désormais leurs courses en fonction du “pouvoir antioxydant” des aliments mis dans le caddie, des fruits aux légumes, en passant par les “enrichis en vitamines”, afin de neutraliser ces dangereux “radicaux libres” dans nos corps.

Bien que l’expression “les bons antioxydants et les mauvais radicaux libres” soit devenue un cri de ralliement nutritionnel de toute une génération, les scientifiques remettent en question le rôle complexe que jouent ces éléments chimiques dans nos vies. Ceci a été notamment souligné par de récentes recherches suggérant que loin de nous protéger du mal, les hautes doses d’antioxydants peuvent causer des dégâts significatifs à nos corps.

Les scientifiques de l’Institut du Coeur de Cedars-Sinai à Los Angeles ont rapporté dans le périodique scientifique Stem Cells que de hautes doses de suppléments d’antioxydants, comme les vitamines C et E, augmentaient les risques de modifications dangereuses dans les cellules humaines.

“En terme simples, en prenant de hautes doses de compléments alimentaires d’antioxydants, vous pourriez augmenter vos chances de cancer” explique le Dr Eduardo Marbán, principal auteur de la recherche.

Vous êtes confus ? Avant de regarder de plus près l’explication du Dr Marbán, il serait utile de faire un petit résumé de ce que nous savons à propos des radicaux libres et des antioxydants. Le point de départ est que nos corps génèrent une classe de molécules appelée les “radicaux libres”, à la fois sous-produits normaux de nos processus métaboliques, et résultant des contacts avec les polluants.

Ces molécules réactives contiennent des atomes d’oxygène avec un nombre d’électrons impair. Etant donné que les électrons ont une fâcheuse tendance à exister par paire plutôt que dans un état impair, les radicaux libres “cherchent” à grappiller des électrons des molécules toutes proches. Ces dernières sont alors converties en radicaux libres secondaires, mettant en branle toute une chaine de réactions qui endommagent nos tissus.

En 1956, le scientifique californien Denham Harman a proposé une théorie qui a dominé le champ de la recherche sur la vieillesse jusqu’à maintenant. Son idée était que la vieillesse est causée par une accumulation de “stress oxydatif” – les dégâts causés à nos cellules par l’oxygène sous forme de radicaux libres. Ces radicaux libres sont supposés être nocifs pour notre ADN – augmentant nos risques de cancers – en se transforment aussi en molécules de cholestérol, créant une forme réactive d’acide gras qui peut enflammer nos artères, et donc conduire à des crises cardiaques et attaques.

Puis, durant les quelques décennies passées, vint une série d’études sur la population qui a suggéré que les personnes qui mangeaient beaucoup de fruits et légumes, contenant beaucoup d’antioxydants, tendaient à vivre plus longtemps. Des études séparées en laboratoire ont montré que les antioxydants stoppaient les processus chimiques oxydatifs du type de celui sous-jacent à de nombreuses maladies. Les gens ont additionné un plus un et ont trouvé trois : ils ont supposé que le fait d’ingérer de fortes doses d’antioxydants, sous la forme de suppléments, les protégerait des maladies associées à l’âge.

Les premières fissures dans cet argument sont apparues dans les années 1990, quand une grande étude clinique du National Cancer Institute US a provoqué la surprise, et a alarmé, avec sa découverte. Elle a trouvé que l’antioxydant fort populaire qu’est le béta-carotène apparaissait augmenter le risque de cancer du poumon chez les individus prédisposés à cette maladie.

Au milieu de cette décennie, l’excitation initiale à propos de la capacité de la vitamine E à prévenir les maladies cardiovasculaires, et les mêmes espoirs autour des suppléments à la vitamine C supposés allonger notre vie, se sont effacés. “Le message simple est : ’n’achetez pas de suppléments d’antioxydants parce qu’ils ne vous feront pas de bien” dit le Dr David Gems de l’Université de Londres et spécialiste de la vieillesse. “La théorie du stress oxydatif est très branlante. Il est clair que ce n’est pas le seul moteur du processus de la vieillesse.”

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Mais ce ne sont pas seulement les bénéfices des antioxydants qui ont été remis en cause. L’autre moitié de l’équation, l’idée que les radicaux libres doivent être neutralisés à tout prix, est aussi remise en question.

Ces molécules réactives jouent effectivement un rôle vital dans nos systèmes immunitaires en tuant les cellules tumorales et en envahissant les pathogènes. Des chercheurs de l’Université Nijmegen aux Pays-bas ont suggéré que donner des antioxydants aux gens atteints de cancers pourrait en fait être contreproductif, étant donné que ces patients auront besoin des radicaux libres pour s’occuper des cellules tumorales qui prolifèrent.

A un niveau plus subtil, le Professeur Malcolm Jackson de l’Université de Sheffield déclare qu’un certain niveau de radicaux libres pourrait être nécessaire pour stimuler la production de nos propres antioxydants internes autrement plus efficaces. Ceci comprend le superoxyde dismutase, une molécule aiguisée par un million d’années d’évolution pour nettoyer les radicaux libres du corps.

Il y a un considérable bond à partir de ce concept vers l’idée que de hautes doses d’antioxydants peuvent réellement augmenter le risque de cancer. Ce qui remet au gout du jour les résultats surprenant publiés dans Stem Cells. Le Dr Marbán et son équipe ont accidentellement découvert les dangers des doses excessives d’antioxydants, en essayant de trouver un moyen de réduire les anomalies génétiques qui surviennent quand on cultive des cellules souches cardiaques dans le cadre de traitements expérimentaux in vitro pour le cœur.

Ces cultures contiennent typiquement de très hauts niveaux d’oxygène, ce qui signifie que les cellules ont de forts niveaux de risques de dégâts oxydatifs. Pour limiter cela, il a récemment ajouté des suppléments d’antioxydants recommandés par un fournisseur technique. Mais à sa surprise, il a découvert que cela augmentait le niveau des dégâts génétiques. La même chose s’est déroulée quand il a ajouté les vitamines C et E antioxydantes à des niveaux identiques à ceux fréquemment atteints par les gens qui s’abreuvent de hautes doses de ces compléments alimentaires.

Marbán pense qu’à de tels niveaux, les antioxydants bloquent l’enzyme qui corrige les erreurs qui surviennent fréquemment quand l’ADN est dupliqué pendant la division cellulaire. En effet, il a montré qu’un mélange de vitamines C et E pouvait aussi empêcher l’enzyme qui répare notre ADN de faire son travail.

Il a reproduit l’expérience en utilisant de hauts niveaux d’antioxydants produits par le corps lui-même, comme la catalase. De nouveau, l’enzyme réparatrice d’ADN qui lutte contre le cancer a été entravée. “Ceci suggère que ce sont les propriétés de l’antioxydant, plutôt que les propriétés chimiques particulières de ces deux vitamines, qui ont empêché la réparation de l’ADN” dit-il.

Qu’en est-il dans le vrai monde ? “Prendre une pilule de multivitamines par jour ne fera pas de mal, pas plus que de bien, mais trop de monde en prend beaucoup en pensant que si en prendre un peu fera du bien, en prendre beaucoup fera beaucoup de bien” explique Marban. “Mais ce n’est pas le cas. Le message est simple pour les consommateurs : mangez tant que vous voulez des fruits et légumes. Vous ne ferez pas d’overdose d’antioxydants avec un tel régime. Mais les compléments alimentaires peuvent vous faire dépasser la zone de danger.”

Pourtant, si la valeur des suppléments d’antioxydants est au mieux incertaine, les preuves d’un allongement de la vie avec un régime riche en fruits et légumes semblent claires. Le défi est maintenant d’expliquer pourquoi ils fonctionnent sous cette forme et pas en tant qu’éléments chimiques isolés.

Hormis la question du dosage, les experts suggèrent que les antioxydants pourraient mieux fonctionner en association avec d’autres nutriments et éléments chimiques protecteurs qui sont présents dans les fruits et légumes. Ou peut-être est-ce le fait de manger beaucoup de fruits et légumes qui signifie que vous êtes moins adepte de la nourriture grasse des fast-food et adepte du sport ?

Références :

[1] Physiological Levels of Reactive Oxygen Species are Required to Maintain Genomic Stability in Stem Cells. STEM CELLS, Vol 9999 Iss 999A,

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