Plusieurs journaux, sportifs ou non, se sont fait l’écho d’un article du journal Heart [1] récemment publié, sur un sujet qui réapparait régulièrement selon lequel trop courir pourrait vous tuer. Le sujet déborde souvent hors des colonnes du monde du sport, car il réjouit notamment les non sportifs qui concluent certainement un peu trop vite que chausser les baskets et s’épuiser à courir est inutile.

Cet éditorial du journal Heart a d’ailleurs été coécrit par certains de l’équipe qui, dans le passé, avaient déjà écrit que trop de sport d’endurance chronique causait des dommages cardiovasculaires [2], et qu’il y avait des effets potentiellement indésirables causés par trop d’endurance [3], ou encore que le sport à la manière des chasseurs-cueilleurs était le seul susceptible d’être prescrit pour être en bonne forme physique [4]. Cependant, certaines voix critiques se sont élevées en déclarant que ceux qui font l’hypothèse que l’on peut faire “trop de sport” manipulent les données.

Il n’y a pas de doutes que les bénéfices pour la santé des sports d’endurance peuvent atteindre un point à partir duquel ils décroissent. Mais où ce situe ce point ? Personne ne le sait avec certitude. Il est pratiquement certain que si vous courrez plus d’une heure par jour, vous le faites pour des raisons toutes autres que celles d’optimiser votre santé. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l’on va ruiner sa santé en courant une heure par jour, et il est possible que quand on affirme ce genre de choses, ce soit sur la base de données déformées.

Exemples :

L’une des pièces majeures présentée comme preuve que le groupe cite, provient d’une étude qui a été présentée cet été, et qui a été reprise dans les journaux sous la forme ci-dessous :

Dans une étude ayant impliqué 52600 personnes suivies pendant 30 ans, les coureurs dans le groupe avaient un taux de décès 19% inférieur que les non-coureurs. Mais au sein de la cohorte des coureurs, ceux qui courraient beaucoup, plus de 32 à 40 kilomètres par semaine, avaient perdu cet avantage sur la mortalité.

Mais l’extrait de l’étude va plus loin [5], avec une précision qui n’est jamais reprise par les journaux :

La régression de Cox a été utilisée pour quantifier l’association entre le fait de courir et la mortalité après avoir procédé à des ajustements sur l’âge, le sexe, l’année de l’examen, l’indice de masse corporelle, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’hypertension, l’hypercholestérolémie, les maladies cardiovasculaires familiales et le niveau des autres activités physiques.

Ce que cela veut dire c’est qu’ils ont utilisé des méthodes statistiques pour “égaliser” efficacement le poids, la tension artérielle, le cholestérol, etc. de tout le monde. Mais cela est absurde quand on y pense. Car pourquoi pense-t-on que courir est bon pour la santé ? En partie parce que cette activité joue un rôle pour ce qui est de faire maigrir, d’améliorer la tension, le cholestérol, etc. Ce que les auteurs de cette étude disent en fait c’est : “si nous ignorons les bénéfices connus pour la santé d’une importante quantité de sport d’endurance, alors des quantités importantes de sport d’endurance n’apportent pas de bénéfices à la santé” !

Un exemple provient de cette analyse publiée dans les Mayo Clinic Proceedings [6] par les mêmes auteurs. Au début de l’article, ils font cette déclaration :

Une importante étude a trouvé que les bénéfices d’un entraînement d’endurance s’accumulent de manière dose-dépendant pour environ une heure par jour d’activité physique vigoureuse, au-delà duquel davantage d’entraînement d’endurance ne produit plus de bénéfices supplémentaires.

Que dit donc réellement cette “importante étude” à laquelle ils se réfèrent ? Celle-ci, publiée dans The Lancet [7] contient ce graphique, basé sur une étude longitudinale sur plus de 400000 personnes :


Effectivement, pour ce qui est de l’activité vigoureuse, la courbe commence à redescendre après une heure. Mais n’y a-t-il pas d’autres bénéfices ? C’est ce qui a effectivement semblé pour O’Keefe et ses amis, raison pour laquelle ils ont posé la question dans The Lancet [8]

Nous sommes curieux de savoir si Wen et ses collègues ont des données concernant l’espérance de vie des individus qui font du sport intensif pendant plus de 50 minutes par jour. Est-ce que les bénéfices sur la mortalité commencent à s’éroder quand le temps passé à faire une activité physique intense va au-delà d’une heure ?

Or, Wen et ses collègues avaient bien des données sur ces éléments, et ils ne vont pas dans le sens d’O’Keefe et ses amis :

Pour 120 minutes par jour, le ratio des risques pour la mortalité toutes causes était d’environ 0.55 (ce qui est meilleur que pour une durée de 60 minutes par jour), avec des ratios encore meilleurs pour les maladies cardiovasculaires. Les effets indésirables de l’exercice épuisant, pour ce qui est des efforts supplémentaires pendant plus d’une heure par jour, ne semblaient pas l’emporter sur les bénéfices. Nous n’étions pas en mesure d’identifier une limite supérieure d’activité physique, qu’elle soit modérée ou intense, au-delà de laquelle il résulterait plus de mal que de bien en termes de bénéfices pour l’espérance de vie.

Cet échange a eu lieu avant l’avalanche d’articles sur les dangers du surentrainement. Et pourtant, l’étude est toujours citée comme preuve que faire plus d’une heure de sport par jour est mauvais à la santé. Comme l’a écrit dans ce même journal Michael Bubb, de l’Université de Floride : “l’interprétation des données par O’Keefe et al. est trompeuse, tout particulièrement après la réponse fournie par les auteurs des données originales”.

Il ne s’agit pas de tomber dans l’extrême inverse, en affirmant qu’il n’y a pas de limites aux bénéfices apportés par le sport d’endurance, ni qu’il n’y a aucune possibilité de dégâts causés au coeur dans le cadre de sports extrêmes d’ultra-endurance. Il s’agit là de questions légitimes qui sont toujours ouvertes.

Mais ces alertes à propos de quantités relativement modestes d’exercice physique en faveur d’un exercice de type “chasseurs-cueilleurs” est ridicule. On peut spéculer tout ce qu’on veut sur les risques et bénéfices “potentiels”, mais ce que l’épidémiologie mondiale nous dit est limpide : si vous faites du sport pendant une heure par jour, vous êtes plus susceptibles de vivre plus longtemps que si vous faites moins d’une heure de sport par jour.

Références :

[1] Run for your life at a comfortable speed and not too far. Heart, James O’Keefe, Carl Lavie.

[2] Cardiovascular damage resulting from chronic excessive endurance exercise. Patil HR, O’Keefe JH, Lavie CJ, Magalski A, Vogel RA, McCullough PA. Mo Med. 2012 Jul-Aug ;109(4):312-21.

[3] Potential adverse cardiovascular effects from excessive endurance exercise. O’Keefe JH, Patil HR, Lavie CJ, Magalski A, Vogel RA, McCullough PA. Mayo Clin Proc. 2012 Jun ;87(6):587-95.

[4] Exercise like a hunter-gatherer : a prescription for organic physical fitness. O’Keefe JH, Vogel R, Lavie CJ, Cordain L. Prog Cardiovasc Dis. 2011 ; 53(6):471-9.

[5] Running and All-cause Mortality Risk – Is More Better. ACSM Annual Meeting, Session : G-38-Fitness.

[6] Potential adverse cardiovascular effects from excessive endurance exercise. O’Keefe JH, Patil HR, Lavie CJ, Magalski A, Vogel RA, McCullough PA. Mayo Clin Proc. 2012 Jun ;87(6):587-95.

[7] Minimum amount of physical activity for reduced mortality and extended life expectancy : a prospective cohort study. Wen CP, Wai JP, Tsai MK, Yang YC, Cheng TY, Lee MC, Chan HT, Tsao CK, Tsai SP, Wu X. Lancet. 2011 ; 378(9798):1244-53. 2011.

[8] Lancet. 2012 Mar 3 ;379(9818):799 ; author reply 800-1. Exercise and life expectancy. O’Keefe JH, Patil HR, Lavie CJ.

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