Une croyance populaire déclare que les femmes qui vivent ensemble synchronisent leurs cycles menstruels, et que cela serait géré par leurs phéromones, les molécules en suspension qui permettent aux membres d’une même espèce de communiquer non verbalement.

Cette idée a vu le jour dans une étude publiée par Nature en 1971 [1], qui avait enregistré les données du début de la menstruation de 135 étudiantes Américaines qui vivaient ensemble dans un dortoir. Cet internat avait quatre couloirs chacun avec environ 25 filles qui vivaient dans des chambres simples ou doubles.

À partir de l’analyse d’environ huit cycles par femme, l’étude a rapporté une augmentation de la synchronisation (une diminution de la différence entre les dates de début des règles) pour les camarades de chambre et parmi les amies les plus proches, mais pas parmi des paires aléatoires de filles dans le dortoir. Les auteurs avaient donc fait l’hypothèse que cela était dirigé par la quantité de temps que les femmes passaient ensemble, selon une communication via les phéromones.

Depuis, cette “synchronisation sociale” a été intensivement étudiée dans différents groupes de femmes, comme des camarades de chambre [2], des collègues de travail [3], des couples lesbiens [4] et des femmes provenant de populations fécondes [5], ainsi que dans un certain nombre d’espèces animales comprenant des rats [6], des babouins [7] et des chimpanzés [8]. La théorie déclare que la synchronisation conduit les femelles à devenir sexuellement réceptives en même temps.

Il y a eu de nombreux arguments évolutionnistes expliquant pourquoi les femelles synchroniseraient la période de leur réceptivité sexuelle. Ces théories [9], supposent que la synchronisation servirait à maximiser la réussite reproductive des femelles (et aussi parfois des mâles). La plus populaire est que cela permettrait aux femelles de minimiser les risques d’être monopolisées par un seul mâle dominant, et de ce fait faciliterait la polyandrie.

Il est vrai que dans des groupes avec plusieurs mâles et femelles dans lesquels les accouplements se font avec plusieurs partenaires, si toutes les femelles sont sexuellement réceptives en même temps il est difficile pour un mâle de contrôler l’accès sexuel à une femelle en particulier tout le temps. Dans cette même veine, une méta-analyse sur 19 espèces de primates a trouvé que le degré auquel un mâle dominant engendrerait toute une progéniture était inversement associé au degré auquel les femelles synchronisaient leurs cycles [10]. En d’autres termes, un mâle dominant avait moins de contrôle sur la reproduction si toutes les femelles étaient réceptives en même temps.

De sérieux doutes apparaissent

Cependant, il y a désormais une accumulation de preuves qui jette de sérieux doutes sur l’existence de ce phénomène. Premièrement, l’étude originale de 1971 à l’origine de cette idée a été critiquée sur le terrain méthodologique [11]. Deuxièmement, un certain nombre d’études sur des groupes d’humains et des espèces non humaines n’a pas réussi à reproduire les résultats initiaux [12], avec au moins autant d’études qui ont rapporté des résultats positifs [13] que d’études ayant rapporté des résultats négatifs [14].

Les analyses mathématiques [15] ont aussi révélé que certains degrés de synchronisations sont probables et doivent apparaitre étant donné les déplacements de la condition reproductive chez les femmes avec le temps, et il n’est pas besoin pour cela d’invoquer des processus adaptatifs pour expliquer ce qu’on observe. En d’autres termes, la synchronisation ou la superposition des cycles entre les femmes s’explique mieux par le hasard.

Certaines critiques ont fait remarquer des contraintes dans l’idée d’une évolution de la synchronisation, par exemple des études ont documenté la variabilité importante de la longueur du cycle parmi et chez les femmes, ce qui peut faire de l’évolution de la synchronisation une “impossibilité mathématique” [16]. Une analyse exhaustive [17] qui a regardé la distribution des cycles menstruels chez les femmes vivant à l’ère préindustrielle a révélé que beaucoup de la variabilité dans l’apparition et la longueur des cycles menstruels dépendait plutôt des particularités de la vie de ces femmes, comme la période d’un échec de grossesse, l’équilibre énergétique et le stress psychologique.

L’hypothèse de la synchronisation des règles ou des cycles de l’oestrus (individus qui sont “en chaleur” dans le cas de nombreux primates non humains) est un processus adaptatif qui peut être séduisant en ce qu’il suggère que l’évolution favorise les femelles qui coopèrent face à la domination sexuelle du mâle. Cependant, tout décevant que cela puisse être, il semble qu’il n’y ait pas de preuve écrasante qui montre que la synchronisation des règles chez les êtres humains ne soit autre chose qu’un artefact méthodologique provenant d’une étude qui est depuis devenu une légende urbaine.

Références :

[1] Menstrual Synchrony and Suppression. Nature 229, 244 – 245 (22 Jan. 1971).

[2] Menstrual synchrony : Only in roommates who are close friends ? Physiology & Behavior, Volume 58, Issue 5, Nov. 1995, Pages 883–889.

[3] Menstrual synchrony in a sample of working women. Psychoneuroendocrinology, Volume 24, Issue 4, May 1999, Pages 449–459.

[4] No evidence for menstrual synchrony in lesbian couples. Psychoneuroendocrinology, Volume 18, Issues 5–6, 1993, pp 425–435.

[5] The biology of Menstruation in Homo Sapiens : Total lifetime, Menses Fecundity and Nonsynchrony in Natural-fertility Population. Curent Anthropology, Vol 38, N°1, 1997, pp 123.

[6] Estrous synchrony and its mediation by Airborne chemical communication (Rattus norvegicus). Hormones and Behavior, Volume 10, Issue 3, June 1978, pp 264–276.

[7] Estrous synchrony in a nonseasonal breeder : adaptive strategy or population process ? Behavioral Ecology. 2012.

[8] Am J Primatol. 2005 Jun ;66(2):159-66. Proximity and estrous synchrony in Mahale chimpanzees.

[9] The ecology and evolution of reproductive synchrony. Trends in Ecology and Evolution, Volume 5, Issue 5, 1990, pp 135-140.

[10] Behav Ecol. 2008 Nov ;19(6):1150-1158. Female reproductive synchrony predicts skewed paternity across primates.

[11] A Critical Review Of Menstrual Synchrony Research. Psychoneuroendocrinology. Vol. 17. No. 6. pp. 565-591, 1992.

[12] Women Do Not Synchronize Their Menstrual Cycles. Zhengwei Yang, Jeffrey C. Schank. Human Nature, 2006, Vol. 17, No. 4, pp. 433–447.

[13] Menstrual synchrony between mothers and daughters and between roommates. Physiology & Behavior, Volume 53, Issue 5, 1993, pp 943–949.

[14] Menstrual Synchrony : Fact or Artifact ? Human Nature, 2006, Vol. 17, No. 4, pp. 419-432.

[15] Estrous synchrony in a nonseasonal breeder : adaptive strategy or population process ? Behavioral Ecology, 2012.

[16] Menstrual-cycle variability and measurement : further cause for doubt. Psychoneuroendocrinology, Vol 25, Iss 8, Nov. 2000, pp 837–847.

[17] The biology of Menstruation in Homo Sapiens : Total lifetime, Menses Fecundity and Nonsynchrony in a Natural-fertility Population. Curent Anthropology, Vol 38, N°1, 1997, pp 123.

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