Une étude récente montre qu’il vaut mieux réfléchir à ce qu’on ressent plutôt qu’à sa condition physique.
En 1977 Bill Morgan et Michael Pollock ont publié l’un des premier et plus influent article en psychologie du sport [1]. Ils ont interrogé un groupe de coureurs de distance de haut niveau, en leur demandant à quoi ils pensaient dans le feu de la compétition. Ils ont ensuite posé la même question à des coureurs moyens.
Morgan et Pollock ont reçu deux réponses différentes. Les coureurs de haut niveau ont déclaré qu’ils surveillaient et écoutaient leur corps pendant la course. Les coureurs moyens ont déclaré qu’ils essayaient de se distraire en pensant à des sujets qui n’avaient rien à voir avec la course.
Les deux approches étaient appelées la “pensée associative” (pour les coureurs de haut niveau) et la “pensée dissociative” (chez les coureurs moyens). Puis rapidement, les coureurs moyens partout ont été encouragés à développer une stratégie personnelle à la manière des coureurs de haut niveau : vérification de la tension cou/épaules, mouvement régulier des bras, contrôle de la respiration, enjambée légère et rapide.
Un article plus récent publié dans le Journal Of Sport & Exercise Psychology [2] a quant à lui conclu que l’approche de la pensée associative contre la pensée dissociative était trop simpliste. Les auteurs suggèrent une distinction plus subtile : ne pensez pas aux choses que vous ne pouvez pas facilement changer, comme votre respiration et votre condition physique. Car selon ce qui est connu comme étant “l’hypothèse de l’action contrainte”, le fait de se focaliser sur un mouvement de course à pieds mécanique, ou même sur un processus encore plus automatique comme l’est par exemple la respiration, est contreproductif. En revanche, il faut se concentrer sur son ressenti général, ou penser à des choses qui vont et viennent habituellement dans votre tête.
Les chercheurs en sont arrivés à cette conclusion après avoir mesuré l’économie de course de 32 coureurs vétérans qui faisaient régulièrement leurs 32 kilomètres par semaine. Leur consommation d’oxygène a été mesurée :
1- pendant qu’ils pensaient à leur respiration ;
2- pendant qu’ils pensaient à leur condition physique ;
3- pendant qu’ils pensaient à leur ressenti ;
4- et pendant qu’ils pensaient à tout ce qui pouvait leur arriver pendant qu’ils couraient, ou tout ce qui leur passait par la tête.
Dans les conditions 1 et 2, la consommation d’oxygène des coureurs a significativement augmenté par rapport aux conditions 3 et 4 qui ont produit des résultats identiques. “L’intérêt directement porté aux processus mécaniques (le mouvement de la course ou la respiration) a provoqué une plus mauvaise économie de course que le fait de se concentrer sur le ressenti du corps et de penser à toute autre chose”, rapportent les auteurs.
Comme cette étude a mesuré la consommation d’oxygène réelle, elle a pu produire un résultat objectif. Au contraire de l’étude de 1977 de Morgan et Pollock qui avait simplement posé la question des tactiques mentales. Cette nouvelle étude a également confirmé une étude de 2009 [3] sur la “concentration de l’attention” et l’économie de la course.
D’un autre côté, le test de l’économie de course est un test sous-maximal. Il n’est pas en mesure de déterminer la réussite d’une course dans sa globalité. Car comme le notent les auteurs, une concentration intérieure “peut provoquer des pensées négatives, notamment quand les sensations deviennent désagréables sur la durée de la course ou lorsque l’intensité augmente.”
À ce moment là, il serait préférable de visualiser et d’imaginer les festivités qui suivront la course ou la compétition.
Références :
[1] Psychologic Characterization of the Elite Distance Runner. William P. Morgan, Michael L. Polloc. Volume 301, The Marathon : Physiological, Medical, Epidemiological, and Psychological Studies pp 382–403, Oct. 1977.
[2] J Sport Exerc Psychol. 2014 Jun ;36(3):233-43. doi : 10.1123/jsep.2013-0200. An internal focus of attention is not always as bad as its reputation : how specific aspects of internally focused attention do not hinder running efficiency. Schücker L, Knopf C, Strauss B, Hagemann N.
[3] J Sports Sci. 2009 Oct ;27(12):1241-8. doi : 10.1080/02640410903150467. The effect of attentional focus on running economy. Schücker L, Hagemann N, Strauss B, Völker K.