Il est fréquent que les enfants soient plus grands que leurs parents, mais ce n’était pas le cas il y a environ quatre générations de cela. Une récente étude sur des militaires âgés de 20 ans environ [1] qui avaient été enrôlés dans la Seconde Guerre Mondiale a révélé une taille moyenne en hauteur de 168 cm. De nos jours, la moyenne pour les jeunes hommes est de 178 cm.
Un gain de 10 centimètres peut sembler beaucoup, mais ces gains ont été trouvés dans plusieurs pays Occidentaux [2] même si le timing diffère. Sur une période légèrement antérieure, les Danois et les Espagnols ont grandi de 12 cm tandis que les Français, les Italiens et les Suédois ont grandi de 10 cm environ.
Pourtant, dans la longue marche de l’histoire ceci n’a pas de précédent. Les historiens ont découvert des éléments de preuve [3] des tailles en hauteur jusqu’au Moyen-Âge, pour mettre en graphique ce qu’ils appellent les standards biologiques de la vie [4]. À travers les générations, il y a eu des hauts des bas de la taille, mais rien de tel que le gain de 10 cm du siècle dernier.
Si la taille adulte reflète la nutrition pendant l’enfance, alors nous avons un indicateur sensible des standards de la vie. Le 20° siècle a connu d’importantes améliorations de l’alimentation. La quantité de nourriture consommée a augmenté et sa qualité s’est améliorée, alors que les revenus ont augmenté plus rapidement que jamais auparavant. Mais dans certains pays, les historiens ont trouvé que pendant les premières périodes de l’industrialisation la taille moyenne avait chuté [5] en même temps que le revenu par habitant augmentait. Le cas le plus débattu se situe aux États-Unis dans les trois décennies précédant la guerre civile, surnommé le “casse-tête antebellum”. Ainsi, revenu et taille n’évoluent pas toujours en chœur. Mais, comme aux époques précédentes, la corrélation entre les tendances de la taille et du revenu est loin d’être parfaite.
Mais il y a quelque chose d’autre à l’œuvre : l’exposition aux infections. Des infections répétées durant la petite enfance et l’enfance ralentissent la croissance quand la consommation nutritive décline, ou est utilisée par le corps pour lutter contre la maladie. Les maladies les plus fréquentes étaient les infections respiratoires, notamment les pneumonies et les bronchites, mais aussi les infections gastro-intestinales, surtout les diarrhées et les dysenteries.
Le facteur clé ici est l’environnement urbain. Les réformes sanitaires ont amélioré la qualité de l’approvisionnement en eau ainsi que l’élimination et le traitement des eaux usées. Dans les régions urbaines, les chevaux ont disparu des rues et les porcs des arrière-cours. Tout aussi important a été la réduction de la surpopulation et l’amélioration de la qualité du logement, en même temps que les quartiers les plus pauvres disparaissaient graduellement.
Comment savons-nous cela ? Les études sur les militaires de la Première Guerre Mondiale ont été très utiles. Ceux qui ont grandi dans des régions avec une forte mortalité infantile (un marqueur des maladies dans l’environnement) tendaient à être plus petits quand ils étaient adultes. Et nous pouvons confirmer que l’environnement était pire quand les foyers étaient surpeuplés et que la région était plus industrielle. Dans les régions les plus industrialisées, les militaires étaient plus courts de 2,5 centimètres. Cet effet s’est estompé en même temps que l’industrie lourde a décliné et que celle qui restait était moins toxique.
En suivant leurs familles dans le recensement de 1901, nous pouvons aussi voir les contextes domestiques des militaires quand ils ont grandi. Cela révèle que ceux qui venaient de familles de la classe moyenne étaient plus grands, et que ceux qui avaient plus de frères et sœurs étaient plus petits. Ceci est le reflet d’un compromis entre la quantité d’enfants et la qualité moyenne pour ce qui concerne la santé. Ceci était l’une des sources de l’évolution de la taille en hauteur, en même temps que la taille de la famille qui a chuté de cinq enfants à deux [6].
Est-ce que les améliorations médicales ont aussi joué un rôle ? Il y a moins de preuves évidentes de cela, mais l’accès à de meilleurs traitements médicaux, et aux services médicaux pour les enfants, s’est doucement répandu jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, la connaissance de base sur la nutrition et l’hygiène s’est infiltrée dans toutes les classes sociales. Un indice de cela – étant donné que les classes socioéconomiques tendaient à être plus éduquées – est que dans les régions où les parents (surtout les mères) étaient plus instruits les militaires étaient plus grands.
Au 20° siècle, les importants progrès dans l’éducation associés à des familles plus restreintes indiquent qu’il y a d’importantes améliorations dans l’éducation des enfants. Ces influences sont difficiles à identifier avec précision, mais elles ont probablement plus contribué à une augmentation de la taille, de la santé et de la longévité que ce qu’on croyait auparavant.
Références :
[1] Health, Height and the Household at the Turn of the 20th Century. Roy Bailey, Timothy Hatton, Kris Inwood. IZA DP No. 8128. 2014.
[2] Long run trends in the heights of European men, 19th-20th centuries. Hatton TJ, Bray BE. Econ Hum Biol. 2010 Dec ;8(3):405-13. doi : 10.1016/j.ehb.2010.03.001. 2010 Mar 30.
[3] New Light on the “Dark Ages”. The Remarkably Tall Stature of Northern European Men during the Medieval Era. Richard H. Steckel.
[4] The biological standard of living in Europe during the last two millennia. European Review of Economic History, 2005, pp 61-95.
[5] The Short and the Dead : Nutrition, Mortality, and the “Antebellum Puzzle” in the United States. Michael R. Haines, Lee A. Craig, Thomas Weiss. The Journal of Economic History. Vol. 63, No. 2 (Jun., 2003), pp. 382-413.
[6] Fertility Decline and the Heights of Children in Britain, 1886-1938. 2009. Timothy Hatton, Richard Martin.