Le fait de faire de l’exercice physique pour une personne âgée est associé à un déclin plus lent des capacités intellectuelles qui apparaissent avec l’âge. Les personnes qui ont rapporté faire peu d’exercice ou pas du tout ont affiché un déclin égal à 10 années de plus de leur vieillissement par rapport à celles qui ont rapporté faire de l’exercice modéré ou intense. Ces conclusions proviennent d’une étude observationnelle sur la population publiée dans le journal Neurology [1].
“Le nombre de personnes de plus de 65 ans augmente, ce qui signifie que le problème de santé publique relatif aux problèmes de mémoire et cognitif va certainement augmenter,” explique le Dr Clinton Wright de l’Université de Miami, auteur de l’étude. “Notre étude montre que pour les personnes âgées, le fait de faire régulièrement de l’exercice pourrait agir comme un élément protecteur, en les aidant à maintenir leurs capacités cognitives plus longtemps.”
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont analysé les données provenant de 876 personnes enrôlées dans l’étude Northern Manhattan auxquelles on a demandé combien de temps et à quelle fréquence elles faisaient de l’exercice durant les deux semaines précédant l’étude. Sept ans plus tard environ, chaque individu a passé des tests de mémoire et de réflexion en passant un IRM de son cerveau, puis cinq ans plus tard encore ces mêmes sujets ont repassé un test de mémoire et de réflexion.
À l’intérieur du groupe, 90 % ont rapporté faire de l’exercice léger ou pas d’exercice du tout. L’exercice léger pouvait comprendre des activités comme de la marche et du yoga. Ces derniers étaient placés dans le groupe à faible activité physique. Les 10 % restants rapportaient faire de l’exercice modéré à intense, qui pouvait inclure des activités comme de la course à pieds, de l’endurance ou de la gymnastique. Ceux-là ont été mis dans le groupe faisant beaucoup d’activité physique.
Quand on analysait les personnes qui ne montraient pas de signes de problèmes de mémoire ni de réflexion au début de l’étude, les chercheurs ont trouvé que ceux qui rapportaient des niveaux faibles d’activité affichaient un déclin plus important après cinq ans par rapport à ceux qui faisaient beaucoup d’activité physique, notamment lors des tests sur la rapidité d’exécution de tâches simples et combien de mots ils pouvaient se remémorer à partir d’une liste donnée. La différence était égale à 10 années de vieillissement ! Cette différence restait la même après que les chercheurs aient ajusté leurs résultats pour des facteurs pouvant affecter la santé du cerveau comme le tabagisme, la consommation d’alcool, la tension artérielle et l’indice de masse corporelle.
“L’activité physique est une option séduisante et facile à mettre en œuvre pour réduire la charge de la détérioration cognitive pour la santé publique, car elle est peu couteuse et n’interfère pas avec les médicaments,” explique Wright. “Nos résultats montrent que l’exercice modéré à intense pourrait aider les personnes âgées à retarder le vieillissement de leur cerveau, mais il faudra plus d’études cliniques randomisées comparant différents programmes d’exercices physiques à la sédentarité pour confirmer ces résultats.”
Corps actif, cerveau actif
Notre condition physique se reflète donc dans notre condition mentale, surtout quand nous vieillissons. Mais comment le fait d’être en forme physiquement affecte nos cerveaux vieillissants ? Des études en neuro-imagerie, dans lesquelles l’activité des différentes parties du cerveau est visualisée, ont fourni quelques indices. Jusqu’à maintenant cependant, aucune étude n’a directement relié l’activation cérébrale à la performance mentale et physique.
Une étude du Journal NeuroImage [2] a établi une relation directe entre l’activité cérébrale, le fonctionnement cérébral et la condition physique dans un groupe d’hommes Japonais âgés. Ils ont trouvé que les hommes en meilleure forme physique réussissaient mieux mentalement que les hommes ayant la moins bonne condition physique, en utilisant des parties de leur cerveau de la même façon que pendant leur jeunesse.
Quand nous vieillissons, nous utilisons différentes régions de nos cerveaux par rapport à notre jeune âge. Par exemple, quand on est jeune, on utilise principalement le côté gauche du cortex préfrontal pour les tâches qui impliquent la mémoire à court terme, ou pour comprendre le sens des mots et la capacité à reconnaitre des événements, des personnes ou des objets déjà rencontrés. Quand on vieillit, nous avons tendance à utiliser les régions équivalentes du cortex préfrontal du côté droit du cerveau pour exécuter ces tâches. Le cortex préfrontal est situé tout à l’avant du cerveau, juste derrière le front. Il joue un rôle dans la fonction exécutive, la mémoire, l’intelligence, le langage et la vision.
Avec des tâches qui impliquent le stockage temporaire et la manipulation de la mémoire, les souvenirs à long terme et le contrôle inhibiteur, les jeunes adultes préfèrent le côté droit du cortex préfrontal, tandis que les adultes plus vieux utilisent le cortex préfrontal droit et gauche. En fait, en vieillissant, nous tendons à utiliser davantage les deux côtés du cortex préfrontal pendant les tâches mentales plutôt qu’un seul côté. Ce phénomène a été formulé sous l’acronyme HAROLD (pour “Hemispheric Asymmetry Reduction in OLDer adults”) et reflète la réorganisation du cerveau en compensation de la réduction des aptitudes cérébrales et de son efficacité à cause du déclin structurel et physiologique associé à l’âge.
Dans l’étude de NeuroImage, 60 hommes âgés entre 64 et 75 ans ont réalisé un test pour mesurer leur condition physique et leur endurance. Ces hommes, dont la condition physique variait largement, ont ensuite réalisé un test pour mesurer leur attention sélective, la fonction exécutive et leur temps de réaction, qui est ce test bien connu qui consiste à lire les couleurs des mots au lieu du mot lui-même (le Stroop test). Ce test est plus compliqué qu’il n’y parait, quand la couleur du mot ne correspond pas au mot lui-même – rouge, vert, jaune, bleu – il faut plus de temps au cerveau pour réagir. Ce temps de réaction est utilisé comme outil de mesure du fonctionnement cérébral. L’activité dans la région du cortex préfrontal des cerveaux des hommes a été mesurée via un test en utilisant une technique de neuro-imagerie appelée “l’imagerie spectroscopique proche infrarouge” ou ISPIf. Cette technique fournit une mesure de la concentration en oxygène dans le sang à la surface des vaisseaux sanguins, qui est un indicateur de l’activité des couches externes du cerveau, un utilisant un ensemble de sondes portables placées sur la tête. Les cellules actives du cerveau exigent du sang fraichement oxygéné qui déloge le sang désoxygéné dans cette région. L’ISPIf mesure les changements de couleur entre le sang rouge oxygéné et le sang bleu désoxygéné et mesure ainsi indirectement l’activité cérébrale.
Les résultats tirés de ces tests ont été combinés et minutieusement analysés statistiquement pour explorer les associations entre la forme physique aérobique, le temps de réaction au Stroop et l’activité cérébrale pendant le test du Stroop. Comme cela a été prédit pour les adultes les plus vieux, pendant le test du Stroop les deux côtés du cortex préfrontal étaient actifs, sans différence entre le droit et le gauche, ce qui vérifie le phénomène HAROLD dans ce groupe d’individus. Les études précédentes ont montré que les jeunes adultes favorisaient le côté gauche du cortex préfrontal pour cette tâche.
Une analyse des relations entre l’activité du cerveau et le temps de réaction au Stroop a révélé que les hommes qui favorisaient le côté gauche du cortex préfrontal pendant qu’ils réalisaient le Stroop test avaient des temps de réaction plus rapides. Ceci indique que les adultes les plus vieux utilisent, comme chez les jeunes, davantage le côté du cerveau associé à cette tâche et réussissent mieux dans ce test.
Ensuite, l’association entre la condition physique aérobique et le temps de réaction au test a été analysée. Les hommes qui étaient en meilleure condition physique avaient les temps de réaction les plus courts. À partir de ces résultats, les chercheurs ont prédit qu’un niveau de forme physique plus élevé serait associé à une activité plus importante du cortex préfrontal gauche. En d’autres termes, les hommes en meilleure condition physique tendent à plus utiliser le côté de leur cerveau comme les jeunes adultes, du moins pendant qu’ils réalisent le test Stroop.
Les études passées n’avaient pas examiné l’interaction entre les trois facteurs étudiés dans le cadre de cette étude – la condition physique, la performance mentale et l’activation cérébrale. En utilisant des tests statistiques appelés analyses de médiation pour regarder ces interactions, les chercheurs ont trouvé que les hommes âgés qui sont le plus en forme peuvent mieux réussir mentalement que les hommes âgés qui sont en moins bonne condition physique en utilisant les aires du cerveau les plus importantes quand c’ est nécessaire. En fait, les hommes âgés les plus en forme utilisent les parties de leurs cerveaux de la même façon que quand ils étaient plus jeunes.
Comment font-ils cela ? Les chercheurs expliquent qu’une des explications possibles, suggérée par la recherche, est que le volume et l’intégrité de la matière blanche dans la partie du cerveau qui relie les deux côtés déclinent avec l’âge. Il y a des preuves qui supportent la théorie que les adultes en meilleure condition physique sont plus en mesure de conserver cette matière blanche que les adultes qui sont en moins bonne condition physique, théorie qu’il faudra confirmer par d’autres études.
Références :
[1] Leisure-time physical activity associates with cognitive decline. Neurology.
[2] Kazuki Hyodo, Ippeita Dan, Yasushi Kyutoku, Kazuya Suwabe, Kyeongho Byun, Genta Ochi, Morimasa Kato, Hideaki Soya. The association between aerobic fitness and cognitive function in older men mediated by frontal lateralization. NeuroImage, 2015.