Une étude [1] de scientifiques de l’Université de Berkeley montre que l’incroyable variété des visages humains – qui est beaucoup plus importante que celle des animaux – est le résultat de la pression évolutionniste qui agit pour faire de chacun de nous un exemplaire unique et facilement reconnaissable.
Nos interactions sociales très visuelles sont presque certainement le moteur de cette tendance évolutionniste, explique l’écoéthologue Michael Sheehan. De nombreux animaux utilisent les odeurs ou la vocalisation pour identifier les individus, ce qui rend les caractéristiques faciales moins importantes, surtout pour les animaux qui errent la nuit. Mais les êtres humains sont différents.
“Les êtres humains sont phénoménalement bons pour ce qui est de reconnaitre les visages ; il y a une aire du cerveau spécialisée pour cela” dit Sheehan. “Notre étude montre que les êtres humains ont aussi été sélectionnés pour être uniques et facilement reconnaissables. Il est clairement bénéfique pour moi de reconnaitre les autres, mais aussi pour moi d’être reconnaissable. Autrement, nous nous ressemblerions tous.”
“L’idée que les interactions sociales pourraient avoir facilité ou dirigé la sélection pour que nous soyons individuellement reconnaissable implique que la structure sociale humaine ait dirigé l’évolution de notre apparence” dit Michael Nachman, généticien de la population et co-auteur de l’étude.
Dans cette étude, le chercheur explique qu’ils se sont posés la question de savoir si des caractéristiques comme la distance entre les yeux ou la largeur du nez étaient des variables complètement aléatoires, ou bien s’il y a eu une sélection évolutionniste pour qu’elles soient plus différentes qu’elles l’auraient été autrement ; plus distinctes et plus uniques ?
Comme ils l’avaient prédit, les chercheurs ont découvert que les traits du visage sont beaucoup plus variables que les autres caractéristiques du corps, comme la longueur de la main, et que les caractéristiques faciales sont indépendantes les unes des autres, contrairement à la plupart des autres mesures du corps. Par exemple, les gens avec des bras plus longs ont typiquement des jambes plus longues, tandis que les gens qui ont des nez plus larges ou des espaces plus importants entre les yeux n’ont pas de nez plus grand. Ces résultats suggèrent que la variation faciale a été augmentée à travers l’évolution.
Enfin, ils ont comparé les génomes des peuples à travers le monde et ont trouvé plus de variations génétiques dans les parties du génome qui contrôlent les caractéristiques faciales que dans d’autres parties génomiques, ce qui est un signe que la variation est avantageuse pour ce qui concerne l’évolution.
“Les trois prévisions ont été confirmées : les traits du visage sont plus variables et moins corrélés que les autres caractéristiques, et les gènes sous-jacents ont des niveaux de variation plus élevés” dit Machman. “Beaucoup de régions du génome contribuent aux traits faciaux, ainsi vous devez vous attendre à ce que la variation génétique soit subtile, ce qui est le cas. Mais elle est cohérente et statistiquement significative.”
L’utilisation des données de l’armée
Le chercheur a été en mesure d’évaluer la variabilité faciale grâce à la base de données de l’Armée Américaine, concernant les mesures compilées du personnel masculin et féminin en 1998. Ces données de l’Army Anthropometric Survey (ANSUR) ont été utilisées pour concevoir et mesurer tout, depuis les uniformes et les vêtements de protection jusqu’aux véhicules et aux postes de travail.
Une comparaison statistique des traits du visage des Américains Européens et des Afro-Américains – distance entre le front et le menton, hauteur des yeux, largeur du nez et distance entre les pupilles, par exemple – avec d’autres caractéristiques du corps – de la longueur des avant-bras, hauteur du corps, etc. a montré que les traits du visage sont en moyenne plus variables que les autres. Les caractéristiques les plus variables sont situées à l’intérieur du triangle des yeux, de la bouche et du nez.
Les scientifiques ont aussi accédé aux données collectées par le projet Génome 1000, qui a séquencé le génome de plus de 1000 êtres humains depuis 2008, et a catalogué presque 40 millions de variations génétiques sur les humains dans le monde. En analysant certaines parties du génome humain qui avaient été identifiées comme déterminant la forme du visage, ils ont trouvé un nombre beaucoup plus important de variantes que pour des caractéristiques comme la hauteur, et qui ne concernaient pas le visage.
Les origines préhistoriques
“La variation génétique tend à être éliminée par la sélection naturelle pour des caractéristiques qui sont essentielles à la survie” dit Nachman. “Mais ici c’est le contraire : la sélection conserve la variation. Ce qui est cohérent avec l’idée qu’il y a une sélection pour que cette variation facilite la reconnaissance des individus.”
Ils ont aussi comparé les génomes humains aux génomes de Neandertal et de l’Hominidé de Denisova récemment séquencés et ont trouvé une variation génétique similaire, ce qui indique que la variation faciale chez les humains doit avoir des origines antérieures à la séparation entre ces différentes lignées.
“Nous reconnaissons clairement les gens par de nombreuses caractéristiques – comme par exemple leur taille ou leur allure – mais nos résultats montrent que le visage est l’élément prédominant grâce auquel nous reconnaissons les gens” conclut le chercheur.
Références :
[1] Michael J. Sheehan, Michael W. Nachman. Morphological and population genomic evidence that human faces have evolved to signal individual identity. Nature Communications, 2014 ; 5 : 4800 DOI : 10.1038/ncomms5800.