Une récente étude, reprise par de nombreux médias, titrait : “le jaune d’oeuf aussi mauvais que le tabagisme pour ce qui est de l’artériosclérose”, Les journaux simplifiant cela en “Les jaunes d’oeuf aussi dangereux que le tabac ?”. Bien entendu, ces gros titres ont pour but d’attirer l’œil et de provoquer le scoop. Mais l’article en question est un exemple de ce qui se fait de pire en science, dont les médias font évidemment des choux gras.

Ce compte-rendu repose sur un article publié dans le journal Atherosclerosis [1]. L’étude est fortement problématique en ce qu’elle n’est pas analysée avec rigueur par les journaux qui l’ont reprise. Les chercheurs ont sondé 1262 patients rencontrés dans une clinique pour la prévention vasculaire, leur posant des questions sur leur consommation d’œufs, s’ils fumaient et sur d’autres facteurs de leur style de vie. Ils ont créé une mesure appelée les “années de consommation de jaunes d’œuf”, qui est le nombre de jaunes d’œufs consommés en moyenne par semaine multiplié par le nombre d’années de consommation. Ils ont comparé cela aux années de tabagisme, le nombre de fois par jour multiplié par le nombre d’années, méthode habituelle pour rapporter un passé de fumeur.

Voici leurs conclusions : “nos résultats suggèrent que la consommation régulière de jaunes d’œufs devrait être évitée par les personnes qui ont un risque de maladies cardiovasculaires. Cette hypothèse devrait être testée dans le cadre d’une étude prospective, avec plus d’information détaillée sur l’alimentation et d’autres facteurs possibles de confusion, tels que l’activité sportive et la circonférence de la taille.”
Ce que certains journaux ont repris sous la forme : “Nous pensons que notre étude doit permettre de réévaluer impérativement le rôle du jaune d’œuf, et le cholestérol alimentaire en général, comme étant un facteur de risque pour les maladies coronariennes, notent les auteurs”.

La faiblesse de cette étude vient d’abord du fait qu’il s’agit d’une étude rétrospective et qui repose sur des données issues de sondages, ce qui est bien connu pour ne pas être précis. En outre, il s’agit d’une étude d’observation et de ce fait il y a de nombreux facteurs parasites de confusion qui ne sont pas contrôlés. Peut-être que ceux qui mangent le plus de jaunes d’œufs mangent aussi plus de bacon, ou ont en général une mauvaise alimentation, ou ne font pas assez d’exercice… Les auteurs le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes à la fin en appelant de leurs vœux une étude prospective qui contrôlerait le plus possible ces nombreuses variables éventuelles.

Mais les données de l’étude elles-mêmes sont problématiques. Voici le tableau :

A B C D E
Années Jaunes d’œufs <50 50-110 110-150 150-200 >200
Age de la 1ère visite 55.70 57.97 56.82 64.55 69.77
Oeufs par semaine 0.41 1.37 2.30 2.76 4.68
Total cholestérol 4.93 4.94 5.00 4.90 4.81
Triglycérides 1.88 1.84 1.96 1.94 1.85
HDL 1.34 1.33 1.33 1.29 1.35
LDL 2.76 2.75 2.81 2.73 2.67
IMC 27.62 27.42 28.71 27.00 26.31
Tabagisme (années) 14.14 14.37 16.57 13.88 17.00
Femmes 48.60% 51.70% 44.80% 45.00% 46.70%
Diabétiques 11.80% 14.50% 11.80% 13.40% 14.60%
Plaque (mm2) 101.45 110.35 113.58 135.76 175.77

Le tableau affiche en effet une augmentation importante de la plaque d’athérome, l’accumulation de cholestérol sur la paroi intérieure des principales artères qui alimentent le cerveau avec l’augmentation des “années jaunes d’œuf”. Il y a aussi cependant de nombreuses contradictions et des facteurs de confusion dans les données. Les plus flagrantes sont que le cholestérol total, les triglycérides, le HDL et le LDL ne varient pas beaucoup à travers les différentes colonnes d’”années jaunes d’œuf”.

Apparemment, ce que les auteurs ont montré (qui est logique avec les données déjà existantes) c’est que le fait de manger beaucoup d’œufs n’augmente pas le cholestérol total ou mauvais cholestérol (LDL), ni ne réduit le bon cholestérol (HDL). Cela laisse en fait les auteurs sans aucun mécanisme expliquant une relation causale entre la consommation d’œufs et la plaque d’athérome. Cela suggère fortement que l’association n’est en fait pas causale, mais incidente ou fausse, à moins qu’un mécanisme alternatif puisse être proposé et confirmé par des éléments de preuves.

En outre, la consommation de jaunes d’œufs était associée à une augmentation de l’âge en premier lieu (facteur de risque connu) et avec les années de tabagisme (bien que de manière incompatible). Les auteurs déclarent que l’association entre les jaunes d’œufs et la plaque d’athérome demeure importante après avoir ajusté les facteurs de risque et l’âge. Pourtant, ces associations suggèrent une probable existence d’autres facteurs qui ne sont pas contrôlés.

Globalement, les données ne sont pas véritablement convaincantes. Le manque de corrélation avec le cholestérol est pour la plupart accablante.

L’histoire des œufs, du cholestérol et des maladies vasculaires est en fait un peu plus complexe. Des études récentes vont dans tous les sens en termes de corrélations. Une étude [2] par exemple, a montré que le fait de manger des œufs augmentait le HDL et améliorait le profil du cholestérol. Une analyse [3] a aussi conclu que

“la consommation d’oeufs a montré qu’elle favorisait la formation d’importantes sous-classes de LDL et de HDL, en plus de faire glisser les individus du modèle B de LDL vers le modèle A, qui est moins athérogénique. Pour ces raisons, les recommandations alimentaires qui visent à restreindre la consommation d’œufs devraient être considérées avec une extrême prudence et ne pas inclure tous les individus. Nous avons besoin de reconnaitre que différentes populations en bonne santé n’ont pas de risque de développer de maladie du cœur en augmentant leur consommation de cholestérol, mais qu’au contraire ils pourraient tirer de multiples effets bénéfiques dans le fait d’ajouter des œufs dans leur alimentation.”

Une autre étude [4] n’a pas trouvé d’association entre la consommation d’oeufs et le cholestérol ni la mortalité chez des hommes, mais a trouvé une augmentation chez les femmes. Une autre étude [5] a trouvé un risque plus important de maladie vasculaire provenant d’un régime alimentaire riche en cholestérol et en lipides dans une population âgée, et plus précisément diabétique.
Une revue systématique de 2001, publiée dans le British Medical Journal [6], sur les graisses et les maladies cardiovasculaires concluait :

“Il y a une petite, mais potentiellement importante, réduction du risque cardiovasculaire quand on diminue ou modifie sa consommation de graisses alimentaires, que l’on retrouve particulièrement dans les études de longues durées.”

Une revue de 2012 concluait [7] :

“Les résultats montrent une petite diminution, mais potentiellement importante, du risque cardiovasculaire quand on modifie ses graisses alimentaires, mais sans les retirer complètement, dans les études plus longues. Le conseil à donner à tous ceux qui ont un risque de maladie cardiovasculaire, et aux groupes de population qui ont un risque moindre, devrait être de continuer à réduire les graisses saturées de leur alimentation, et les remplacer partiellement par des graisses insaturées. Le type idéal de graisse insaturée n’est pas clair.”

En conclusion, ce type de sujet est très compliqué et les données restent obscures à ce jour. Il semble y avoir un signal constant dans les données de recherche selon lequel le LDL, les triglycérides et le HDL sont des facteurs de risque pour les maladies cardiovasculaires, surtout quand ils sont associés à d’autres facteurs de risque. Le fait d’améliorer le profil lipidique par l’alimentation, le sport et les médicaments bénéficie au risque vasculaire.

Les recommandations alimentaires sont cependant plus complexes. Les diminutions totales des graisses des années 1980 ne sont probablement pas une bonne idée, car la réduction du bon cholestérol l’emporte sans doute plus sur une diminution du mauvais cholestérol. En outre, la contribution alimentaire au profil lipidique pour la plupart des gens est probablement légère (à moins que vous ayez une alimentation extrême). Éviter les graisses trans et minimiser les graisses saturées semble être confirmé par les preuves disponibles.

Globalement, si vous avez un régime équilibré, que vous évitez les extrêmes et faites régulièrement du sport, vous êtes probablement bien. Le fait de peaufiner plus encore votre alimentation ne produira sans doute pas plus de bénéfices. Si vous êtes dans un groupe à risque, comme les diabétiques, vous avez besoin d’être plus précis quant à vos habitudes alimentaires, en accord avec votre médecin.

En ce qui concerne plus particulièrement les œufs, il semble qu’une consommation modérée d’œufs ne pose pas de risques pour la santé et pourrait même être bénéfique. A partir des données disponibles, il semble raisonnable d’éviter d’avoir une consommation extrêmement élevée d’œufs, mais on peut dire ça de presque tous les aliments.
Quand il s’agit d’alimentation, la règle d’or qui est de tout consommer avec modération, semble être une bonne première approximation issue des données scientifiques.

Références :

[1] Egg yolk consumption and carotid plaque. Atherosclerosis, J. David Spence, David J.A. Jenkins, Jean Davignonc.

[2] J Lipids. 2012 ;2012:672720. Epub 2012 Jun 24. The Effect of Egg Consumption in Hyperlipidemic Subjects during Treatment with Lipid-Lowering Drugs. Klangjareonchai T, Putadechakum S, Sritara P, Roongpisuthipong C.

[3] Food Funct. 2010 Nov ;1(2):156-60. Epub 2010 Oct 19. Effects of eggs on plasma lipoproteins in healthy populations. Fernandez ML.

[4] Am J Clin Nutr. 2004 Jul ;80(1):58-63. Egg consumption, serum cholesterol, and cause-specific and all-cause mortality : the National Integrated Project for Prospective Observation of Non-communicable Disease and Its Trends in the Aged, 1980 (NIPPON DATA80).

[5] Nutr Metab Cardiovasc Dis. 2011 Jun ;21(6):430-7. Epub 2010 Mar 24.Dietary fat and cholesterol and risk of cardiovascular disease in older adults : the Health ABC Study.

[6] Dietary fat intake and prevention of cardiovascular disease : systematic review. BMJ 2001 ; 322 doi : 10.1136/bmj.322.7289.757.

[7] Cochrane Database Syst Rev. 2012 May 16 ;5:CD002137. Reduced or modified dietary fat for preventing cardiovascular disease. Hooper L, Summerbell CD, Thompson R, Sills D, Roberts FG, Moore HJ, Davey Smith G.

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