Un livre a entretenu la polémique, celui de Christopher McDouglas : “Born to Run” qui déclare en substance que nous sommes nés pour courir pieds-nus, ainsi que l’argumentation de l’anthropologue de Harvard Daniel Lieberman selon lequel la course sur de longues distances a façonné l’évolution du corps humain. Des études en biomécanique ont commencé à voir le jour qui ont voulu apporter des éléments de preuve scientifique qu’il vaut mieux se déchausser pour courir, ou bien mettre des chaussures minimalistes qui ne font rien d’autre que de protéger la plante des pieds. Mais il faut cependant interpréter ces études avec une grande prudence.

La question de savoir si les chaussures modernes augmentent ou réduisent les blessures demeure encore enveloppée d’incertitudes. Dans un article du British Journal of Sports Medicine de 2009 [1], le chercheur Australien Craig Richards argumente en disant qu’aucune étude n’a encore réussi à démontrer que les chaussures modernes permettaient de réduire les blessures.

“Les fabricants et les vendeurs de chaussures essayeront de vous embobiner avec les résultats de centaines d’études biomécaniques” dit-il. Mais ces études montrent simplement que les chaussures modifient les forces qui agissent sur les pieds, et personne ne sait avec certitude comment ces forces s’associent aux taux de blessures”.

En 2010, Lieberman a publié dans le journal Nature [2] les résultats d’une étude sur des coureurs Américains et Kényans. Ces deux principales conclusions étaient premièrement que les coureurs pieds-nus étaient plus susceptibles de frapper le sol avec le milieu ou l’avant de leur pied, tandis que les coureurs chaussés atterrissaient généralement sur leurs talons ; deuxièmement, que le pic de force vertical sur l’impact avec le sol était trois fois plus important dans les chaussures que pieds-nus.

Les journalistes ont rapporté cela comme étant la preuve que courir pieds-nus est “meilleur”, mais en fait, c’est précisément le type d’étude biomécanique que Richards a réfuté comme inutile, parce qu’elle ne dit rien sur les taux et fréquences des blessures.

Une autre étude, de Casey Kerrigan et ses collègues de l’Université de Virginie [3], a fait les gros titres au début de l’année 2010 en déclarant que les chaussures pour courir étaient pires pour les pieds que les hauts talons ! Ce que cette étude a en fait trouvé c’était que les chaussures de course créaient une plus grande torsion sur les articulations des hanches et des genoux qu’en courant pieds-nus. Puis, ils ont comparé ces résultats à ceux d’une étude précédente sur la marche avec des chaussures à hauts-talons, et ont réalisé une comparaison on ne peut plus douteuse entre les deux.

Il n’y a pas de doutes que la recherche sur la chaussure a évolué depuis plusieurs dizaines d’années. Par exemple, les amortisseurs moelleux ne sont plus considérés comme étant le nec plus ultra pour éviter ou limiter les blessures. “Je rêve que les sociétés qui vendent des articles de sports cessent de faire l’article sur les ’gel’ et ’l’air’ dans les semelles de leurs chaussures” dit Simon Bartold, chercheur. Les nouvelles chaussures reflètent déjà cette idée, dit-il : Nike a introduit les chaussures minimalistes et Asics a doucement abandonné le concept de “contrôle de la motricité”.

Mais il n’y a pas de preuves que les coureurs de toutes formes et de toutes tailles tireront un bénéfice en se débarrassant simplement de leurs chaussures. Les multiples intervenants dans ce domaine ont pour la plupart des intérêts financiers dans un sens ou dans l’autre, Bartold travaillait pour Asics, l’étude de Lieberman a été financée par Vibram, qui propose les chaussures minimalistes FiveFinger, et enfin Karrigan et Richards ont créé leur propre société de vente de chaussures minimalistes.

Ce n’est pas que les nouvelles études sur la course pieds-nus soient de mauvaise qualité. Au contraire, elles apportent une information de valeur sur la façon dont nous courrons, et elles suggèrent que les coureurs enclins aux blessures pourraient bénéficier de certaines expériences rigoureuses de course pieds-nus (ou presque pieds-nus). Cela pourrait impliquer de faire un jogging pieds-nus sur l’herbe pendant cinq minutes, quelques-fois par semaine, et de voir ce que ça donne.

Mais s’il faut exiger des avocats du “tout pieds-nus” un même niveau standard de preuve qui est exigé des promoteurs et vendeurs de chaussures de course, il faut être clair : tout lien entre le fait de courir pieds-nus et une diminution des blessures reste non prouvé pour l’instant. Bien entendu, les effets secondaires tels que les coupures en marchant sur un objet tranchant sont, quant à eux, extrêmement bien documentés !

Références :

[1] Is your prescription of distance running shoes evidence-based ? Craig Richards et al. British Journal of Sports Medicine, 2009, 43(3), 159-162.

[2] Foot strike patterns and collision forces in habitually barefoot versus shod runners. D. Lieberman et al. Nature, 2010, 463, 531-535.

[3] The effect of running shoes on lower extremity joint torques. D.C. Kerrigan et al. PM&R, 2009, 1(12), 1058-1063.

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