Le débat sur le sel a rempli les pages des magazines de santé et noirci les journaux pendant des années. Depuis l’article original et sceptique de John Swales de 1998 [1] jusqu’à l’appel au retour à la réalité de Godlee en 1996 [2], le débat a transcendé l’arène scientifique jusque dans l’opinion publique avec des campagnes médiatiques sur un ton de plus en plus passionné [3]. Une étude récente, publiée dans le BMJ Open [4], ajoute de l’huile sur le feu en montrant qu’une diminution de 15 % des apports en sel dans l’alimentation quotidienne en Angleterre entre 2003 et 2011 a conduit à une baisse de 42 % des décès par attaque, et une diminution de 40 % des décès par maladie coronarienne.
La controverse sur le sel était particulièrement fournie [5] depuis l’application de résultats d’études scientifiques en actions de santé publique, où le débat sur le sel s’est transformé en “guerre sur le sel [6]”. L’évolution de ce débat en guerre ressemble aux débats passés et présents (pensons par exemple à John Snow et à l’épidémie de choléra au 19° siècle, au déni de la nocivité du tabac au 20° siècle, et à celui concernant le réchauffement climatique), lorsque la traduction de résultats scientifiques en actions concrètes entre en conflit avec des intérêts financiers et commerciaux [7].
Les faits scientifiques montrent que le sel a une relation de cause à effet avec la tension artérielle : plus la consommation de sel est importante, plus la tension artérielle est élevée, un effet qui est perçu depuis la naissance. Une petite réduction de la consommation de sel (jusqu’à 50 % de ce que nous mangeons actuellement) cause une chute de la tension chez presque tout le monde et avec différents chiffres de tension artérielle, bien que les individus réagissent plus ou moins selon leur âge, leur tension actuelle ou leur poids de corps. L’hypertension cause des attaques et des crises cardiaques, et une diminution de la tension artérielle les réduit. L’effet est proportionnel à la baisse de la tension artérielle.
Il est de ce fait concevable qu’une baisse modérée de la consommation de sel dans une population donnée permettrait de réduire les attaques et les crises cardiaques via une baisse de la tension artérielle. L’hypothèse n’est pas très compliquée à émettre, mais elle est très difficile à “prouver” pour les scientifiques. Démontrer qu’une réduction de la consommation de sel dans les populations, sur une période de temps, réduit le taux des attaques et des crises cardiaques nécessiterait une étude clinique randomisée en double aveugle contre placébo.
Il a cependant été affirmé qu’une telle étude ne serait jamais possible [8]. Devons-nous dès lors nous interdire de mettre en place des politiques de santé publique reposant sur les seules preuves disponibles à ce jour ? Une étude clinique randomisée sur le tabagisme et le cancer du poumon n’a jamais été réalisée non plus chez les êtres humains pour “prouver” que fumer causait le cancer du poumon, et que nous devrions éventuellement bannir le tabac. Et une évaluation du volume de preuves sous-jacentes à la réduction du sel par la population dépasse, et de loin, les preuves qui soutiennent les politiques acceptées de nos jours sur la réduction du poids, de l’augmentation de l’exercice physique, de la consommation de fibres, de fruits et de légumes dans le cadre de la prévention du cancer et des maladies cardiovasculaires.
La présente étude du BMJ est une autre contribution au volume de preuves qui montre, sans le prouver cependant, une connexion possible entre la réduction de la consommation de sel réalisée ces huit dernières années au Royaume-Uni (1,4 gr de sel en moins par jour) et la réduction de la tension artérielle moyenne de la population (3.0/1.4 mmHg), ainsi que de la mortalité cardiovasculaire (42 % d’attaques et 40 % de maladies cardiovasculaires ischémiques en moins) sur la même période.
L’analyse a utilisé des ensembles de données disponibles provenant d’enquêtes nationales, et a indiqué que la réduction de la mortalité cardiovasculaire était aussi compatible avec une réduction concomitante du tabagisme, du cholestérol et avec une modeste augmentation de la consommation de fruits et légumes, mais contre une tendance à l’augmentation du poids de corps moyen.
Les limites sont implicites dans ce type d’analyses : illusion écologique, données parasites inexpliquées et recours aux taux de mortalité bruts. L’étude ne va pas satisfaire ceux qui sont avides de sciences dures pour prouver les effets sur la population. Cependant, elle informe et encourage les décideurs politiques sur la faisabilité de la mise en place de tels programmes, et la possibilité d’obtenir et d’entretenir des petits effets peu coûteux.
Références :
[1] Salt saga continued. BMJ, 1988 ; 297 doi :http://dx.doi.org/10.1136/bmj.297.6…
[2] The food industry fights for salt. F. Godlee. BMJ. 1996 ; 312(7041) : 1239–1240. PMCID : PMC2351046.
[3] The (Political) Science of Salt. Gary Taubes. Science, 1998 : Vol. 281 no. 5379 pp. 898-907. DOI : 10.1126/science.281.5379.898
[4] Salt reduction in England from 2003 to 2011 : its relationship to blood pressure, stroke and ischaemic heart disease mortality. BMJ Open 2014 ;4:e004549 doi:10.1136/bmjopen-2013-004549.
[5] Policy options to reduce population salt intake. Cappuccio FP, Capewell S, Lincoln P, McPherson K. BMJ. 2011, 11 ;343:d4995. doi : 10.1136/bmj.d4995.
[6] An update on the salt wars-genuine controversy, poor science, or vested interest ? Neal B, Land MA, Woodward Curr. Hypertens Rep. 2013 Dec ;15(6):687-93. doi : 10.1007/s11906-013-0389-5.
[7] The Perils of Ignoring History : Big Tobacco Played Dirty and Millions Died. How Similar Is Big Food ? Kelly Brownell, Kenneth Warner
[8] Benefit assessment of dietary salt reduction : while the doctors study, should more people die ? Strazzullo P . J Hypertens. 2011 ; 29(5):829-31. doi : 10.1097/HJH.0b013e3283459568.